Le grand mensonge de la surpopulation
17 juin 2008
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« Malthus avait raison, l’enfer, c’est le bébé. Ça tue le
développement », écrivait Pascal Riché dans Libération du 30 avril
1992.
Partout se répand le credo anti-populationniste visant à déguiser le génocide des peuples (surtout de couleur et du Sud) en fatalité inévitable.
Immoral et criminel ? Certes, mais surtout imbécile et incompétent.
Ce dossier, publié dans Nouvelle Solidarité en septembre 1992, retrace la logique infaillible de Darwin à Cousteau, le développement de l’eugénisme en France, aux Etats-Unis et dans l’Allemagne nazie, en passant par la solution finale d’hier et d’aujourd’hui.
La non-résolution de la crise alimentaire actuelle qui tue 24000 personnes par jours, dont 16000 enfants, doit être analysée à la lumière de ce qui est redevenu une politique.
Pourquoi se replonger aujourd’hui, en 1991, dans la lecture de L’origine des espèces, La descendance de l’homme ou d’autres ouvrages dans la lignée de la pensée darwinienne ? Simple travail d’épistémologie ? Non, beaucoup plus que cela... Aujourd’hui, à côté des beaux discours sur la démocratie et sur l’aide au tiers monde, apparaissent à la une des journaux des mises en garde contre la surpopulation (France-Soir du 14 mai 1991) : « Alerte : les bébés menacent la terre »), et des articles sur la nécessité, comme le préconisait Malthus (principal inspirateur de Darwin), de réduire la population mondiale.
L’homme n’est plus conçu que comme un consommateur de richesses dans un réservoir limité, un animal sans pouvoir créateur, guidé par ses instincts et livré à la libre concurrence... La loi générale est la survie du « plus apte ».
Le premier à avoir exprimé cette forme de pensée sous la forme d’un concept
scientifique est Charles Darwin, dans L’origine des espèces (1859), où il
se limite alors prudemment aux animaux. Darwin y montre que les espèces animales
ont évolué dans le temps, le moteur de cette évolution étant la sélection
naturelle : dans la variété des formes vivantes, les individus les plus aptes
survivent et se reproduisent dans un écosystème aux ressources limitées, les
autres disparaissent sans descendance. La sélection naturelle est-elle
uniquement une simple hypothèse scientifique ou, insidieusement appliquée à
l’homme, n’est-elle pas plutôt la justification prétendument scientifique d’un
projet de société fondé sur une certaine vision de l’homme ?
Pour répondre à cette question, légitime dans la situation politique actuelle, nous montrerons la filiation entre la pensée darwinienne et eugéniste du XIXème siècle et la pensée politique de l’oligarchie dirigeante actuelle.
Qui était Charles Darwin ?
Charles Darwin naquit en 1809, dans une famille typique de la grande bourgeoisie anglaise. Il étudie la médecine, puis la théologie, sans grand succès. Le jeune homme s’intéresse surtout à la chasse et au sport. Sa passion pour l’entomologie et l’histoire naturelle lui permet d’entrer en contact avec des géologues, en particulier avec le professeur Henslow qui lui permettra de partir, pour une mission scientifique, à bord du « Beagle » (décembre 1831). La mission durera cinq ans, couvrant les archipels de l’Atlantique et les côtes de l’Amérique du Sud. En 1845, Darwin publie un premier récit de ses voyages. La légende fait de cette expédition à bord du « Beagle » l’élément essentiel dans la genèse de L’origine des espèces. En observant la faune très diversifiée des îles exotiques, Darwin aurait eu « l’intuition géniale » du processus de sélection naturelle. Nous reviendrons plus loin sur la crédibilité d’une telle thèse.
Darwin rédige deux mémoires en 1842, non publiés, et publie seulement en 1859
L’origine des espèces. Pour lui, les espèces dérivent les unes des
autres, elles ne sont pas fixes, mais évoluent (ceci n’est pas un apport de
Darwin, Lamarck était déjà transformiste) ; l’évolution s’explique par le fait
que les organismes sont soumis, à des variations héréditaires, au sein d’une
compétition intense entre individus et entre espèces où seules les variations
les plus avantageuses sont préservées.
« J’ai travaillé selon les vrais principes de Bacon et, sans aucune théorie préconçue, j’ai collectionné une grande masse de faits ». [1]
En réalité, les carnets dans lesquels Darwin notait ses pensées au jour le jour, publiés à partir de 1960, révèlent une toute autre version de sa méthode scientifique.
Ses notes autobiographiques montrent en effet que, de 1837 à 1839, il élabore la théorie de l’évolution, ’non pas grâce à une analyse « objective » (si c’est possible) de faits, mais grâce à des réflexions profondes sur l’anthropologie, la théologie et la philosophie. Darwin savait lui-même qu’il est impossible d’observer sans théorie. Il ment délibérément sur sa méthode parce qu’il croit que tout scientifique « sérieux »doit présenter au public des faits et non des présupposés philosophiques. Voilà ce qu’il écrit au botaniste John Scott à ce sujet :
« Que la théorie guide vos observations ; mais en attendant que votre réputation soit bien établie, faites bien attention à ne pas publier trop de théorie car cela fait douter les gens de vos observations ». [2]
Les présupposés de Darwin sont, dès le début, matérialistes. Dans ses carnets C, M et N, il s’interroge sur l’origine du sens moral ou sur les causes finales et, dès cette année 1838, il réfute le caractère exceptionnel de l’homme. Il a déjà le projet d’expliquer l’origine et la nature de l’homme d’un point de vue purement matérialiste, en opposition avec le christianisme. En 1838, il écrit dans le carnet N : « l’esprit est fonction du corps ».
Il revient à plusieurs reprises dans ce même carnet sur le statut moral de l’homme pour dénoncer l’illusion de son libre-arbitre : Il n’avoue, au moins au début de sa vie, jamais ces conceptions pourtant déterminantes dans la genèse de sa théorie. Il ment pour les mêmes raisons sur ses convictions religieuses : dans L’origine des espèces, il concède un certain rôle au Créateur, alors que ses carnets montrent qu’il a, dès 1838, rejeté tout recours aux causes finales. En 1863, reconnaissant sa tricherie, il écrit à son ami Hooker :
« J’ai longuement regretté de m’être aplati devant l’opinion publique et de m’être servi du terme biblique de « création », en fait, je voulais parler d’une « apparition » due à un processus totalement inconnu. » [3]
Il appellera plus tard la sélection naturelle, « ma divinité », Darwin ment et dissimule pour être accepté par une société encore marquée par la puissance de l’Eglise et parce que la dissimulation est bien dans son caractère. Ses convictions sur la nature humaine, qu’il croit animale et dépourvue de libre arbitre, sont une base majeure de sa théorie de la sélection naturelle. Dans ses réflexions sur l’homme et les espèces vivantes, une lecture aura une influence déterminante dans l’élaboration de sa théorie. C’est celle de l’Essai sur la population, de Thomas Malthus. Il lit l’ouvrage en 1838, deux ans après son départ du « Beagle », dans son autobiographie, il commente cette lecture :
« Je lus, pour me distraire, l’Essai sur le principe de population de Thomas Malthus. Or, étant préparé pour apprécier la lutte pour l’existence partout présente par une longue pratique de l’observation des plantes et des animaux, je fus soudain frappé par le fait que, dans de telles circonstances, les variations favorables tendraient à être préservées et les variations nuisibles à être détruites. Le résultat de cette sélection serait la formation de nouvelles espèces. J’avais donc enfin une théorie sur laquelle travailler ». [4]
Malthus, niant la faculté de créer de l’homme, stipule qu’il naît plus
d’enfants que les ressources du milieu ne permettent d’en nourrir et que, de ce
fait, les moins aptes sont éliminés par la famine ou autres catastrophes
« naturelles », Darwin fait de ce principe le moteur de l’évolution. Dans toutes
les espèces vivantes, les descendants naissent en surnombre. Le milieu exerce
une pression, une force au sens où, les ressources étant limitées, seuls
survivront les individus présentant les caractéristiques les plus avantageuses
pour les exploiter. L’Origine des espèces commence par ces mots :
« Nous considérons la lutte pour l’existence parmi les êtres organisés
dans le monde entier, lutte qui, inévitablement, découle de la progression
géométrique de leur augmentation en nombre. C’est la théorie de Malthus
appliquée à tout le règne animal et tout le règne végétal. » [5]
L’autre influence, moins connue encore mais déterminante, est celle d’Auguste Comte. Entre le 7 et le 12 août 1838, Darwin lit un compte-rendu de David Brewster sur le cours de « philosophie positive ». Dans une lettre à Lyell, datée du 13 septembre, il qualifie l’article de « capital ». Darwin s’accorde parfaitement avec Comte quand celui-ci écrit : « Toute science est radicalement et nécessairement opposée à toute théologie ».
Darwin retient à merveille la leçon de la loi des trois états successifs de l’humanité (théologique, métaphysique, puis positif). Il déplore que « la zoologie elle-même, aujourd’hui, soit purement théologique », et se présente comme celui qui la fera passer au stade positif. L’engouement de Darwin pour Comte témoigne bien de sa volonté non déclarée de débarrasser la science de tout recours à la métaphysique, de séparer par des cloisons étanches le physique et le métaphysique. Darwin est donc un personnage hypocrite, il veut faire passer son travail pour le résultat d’une recherche purement empiriste, alors qu’il est le reflet d’une recherche philosophique profonde. Il a su ménager son public et sa réputation avec un cynisme remarquable. Malthus avait déjà posé les jalons de la notion de sélection naturelle, Darwin la prolonge aux animaux et aux plantes. Mais quelle place réserve-t-i1 à l’homme dans ce processus ?
« Imaginons que les hommes soient morts, alors les singes font des hommes », [6] dit-il. Pour Darwin, « il n’existe aucune différence fondamentale entre l’homme et les mammifères les plus évolués, au point de vue des facultés intellectuelles » (dans La descendance de l’homme). Darwin nie le caractère exceptionnel de l’homme, son pouvoir créateur. Il reconnaît que, si le singe peut utiliser une pierre pour casser une noix, il serait incapable de « façonner une pierre pour en faire un outil », mais pour lui, « si considérable qu’elle soit, la différence entre l’esprit de l’homme et celui des animaux n’est certainement qu’une différence de degré et non d’espèce ». [7]
L’homme n’est qu’un singe perfectionné. Darwin est à l’opposé de la tradition judéo-chrétienne qui voit l’homme à l’image du créateur, donc capable de créer, de modifier son environnement et ses ressources. Toujours dans La descendance de l’homme, Darwin fait une analyse du sens moral qui serait digne de Kant :
« Le sens moral se résume dans ce mot court mais impérieux, le devoir, dont la signification est si élevée ».
D’ailleurs, Darwin cite Kant : « Devoir, pensée merveilleuse qui n’agit ni par insinuation, ni par flatterie, ni par la menace, mais en se contentant de se présenter à l’âme dans toute ton austère simplicité ; tu commandes ainsi le respect, sinon toujours l’obéissance ; devant toi les appétits restent muets, si rebelles qu’ils soient en secret. D’où tires-tu ton origine ? »
Selon cette conception, le Vrai, le Beau et le Bien ne sont pas connaissables. L’homme et l’animal sont guidés par la recherche de plaisirs liés à la satisfaction d’instincts. Et si l’homme et l’animal sont capables de résister à des instincts primaires (comme la faim), c’est pour satisfaire des instincts sociaux (favorables à la survie de l’espèce). Ils tirent un certain plaisir de l’approbation de leurs semblables. Pour Darwin, le sens moral est extérieur à l’homme, qui respecte un code de conduite favorable à la survie de l’espèce, parce qu’il veut se garder la sympathie de ses semblables.
« Fais aux hommes ce que tu voudrais qu’ils te fissent à toi-même ». Avec ce genre de critère, la définition du bien et du mal est forcément arbitraire et dépend, selon Darwin, de l’espèce.
« De même que divers animaux possèdent un certain sens du beau, bien qu’ils admirent des objets très différents, de même aussi ils pourraient avoir le sens du bien et du mal, et être conduits par ce sentiment à adopter des lignes de conduite très différentes. Pour prendre un cas extrême, si les hommes se reproduisaient dans des conditions identiques à celles des abeilles, il n’est pas douteux que nos femelles non mariées, de même que les abeilles ouvrières, considèreraient comme un devoir sacré de tuer leurs frères, et que les mères chercheraient à détruire leurs filles fécondes, sans que personne ne songeât à intervenir ». [8]
Le bien et le mal, pour l’homme, ne sont pas définis en soi, mais constituent un code de conduite optimum pour la survie de l’espèce, dépendant des lois de fonctionnement biologique de l’espèce « être humain ». Ainsi, puisque l’homme n’est pas capable de connaître la vérité, Darwin le dépouille de son libre-arbitre et de sa capacité d’intervenir sur son environnement. On comprend pourquoi les conceptions anti-judéo-chrétiennes de Malthus ont tant plu à Charles Darwin. L’homme, chez Malthus, est cet animal borné, incapable de créer des richesses dans un système fermé que son activité épuise. Ni Darwin, ni Malthus ne sauraient expliquer la réussite démographique et scientifique de l’espèce humaine, ni donc leur propre existence !
Dans le chapitre 5 de La descendance de l’homme, Darwin aborde la question de l’action de la sélection naturelle sur l’homme. Elle n’aurait qu’une faible influence sur les caractéristiques corporelles de l’homme, mais, par contre, elle aurait une influence considérable sur les facultés intellectuelles et morales que Darwin croit héréditaires. Darwin établit ainsi une hiérarchie entre les singes, les « sauvages »et les « Nations civilisées ». Chez les animaux et les sauvages, la sélection naturelle jouerait en augmentant le « développement des facultés intellectuelles », sélectionnant les plus vigoureux. Dans les nations « civilisées », la sélection naturelle ne s’applique plus aussi facilement, car les innovations technologiques permettent aux plus faibles de survivre.
C’est là qu’apparaît la « tentation eugéniste »de Darwin.
« Quant à nous, hommes civilisés, nous faisons, au contraire, des lois pour venir en aide aux indigents ; nos médecins déploient toute leur science pour protéger ’la vie de chacun. Les membres débiles des sociétés civilisées peuvent donc se reproduire indéfiniment. Or quiconque s’est occupé de la reproduction des animaux domestiques sait, à n’en pas douter, combien cette perpétuation des êtres débiles doit être nuisible à la race humaine. On est tout surpris de voir combien le manque de soins, ou même des soins mal dirigés, mènent rapidement à la dégénérescence d’une race domestique, en conséquence à l’homme lui-même, personne n’est assez ignorant et assez maladroit pour permettre aux animaux débiles de se reproduire. » [9]
On reconnaît là l’influence de Malthus, qui propose dans son Essai sur la
population : « Plutôt que de recommander la propreté aux pauvres, (...)
nous devrions construire les nies plus étroites, loger plus de gens dans les
maisons, et aider au retour de la peste ... »
Darwin, plus « libéral », ne va pas si loin. Il note que, pour des raisons de noblesse morale, on ne peut pas éliminer ces êtres inférieurs : « Nous devons donc subir, sans nous plaindre, des effets incontestablement mauvais qui résultent de la persistance et de la propagation des êtres débiles. »
Ce qui signifie en substance, « les races inférieures ont le droit d’exister » !
Darwin préconise de les isoler le plus possible.
Darwin est loin d’être le pur savant, détaché de tout a priori et de toute idéologie. Sous le vernis libéral anti-esclavagiste, on découvre un racisme qui se veut « tolérant ». Darwin voit en l’Angleterre le phare des nations civilisées, et attribue une supériorité remarquable aux Anglais comme colonisateurs. La personnalité de Darwin montre à quel point il faut situer ses travaux et son succès dans le contexte socio-économique de l’époque.
En ce milieu du XIXème siècle, l’Angleterre est une « puissance industrielle »dominante. Lors de la première Exposition Universelle à Londres, en 1851, sur 14 000 exposants, on ne compte pas moins de 7 500 industriels anglais ; l’Angleterre fournit 50% des cotonnades et 60% de l’acier et du charbon consommés dans le monde. Mais s’agit-il vraiment d’une puissance économique, et sur quels principes fonctionne-t-elle ?
En fait, à l’intérieur, le succès est bâti sur un système de quasi-esclavage. Les campagnes se vident, les paysans quittent le monde rural (on passe d’une agglomération de 100 000 habitants au début du XIXème à 33 à la veille du XXème siècle), non pour exercer des emplois qualifiés, mais pour travailler dans les « fabriques »où le travail est mal payé et les conditions souvent très dures. La journée de travail d’un ouvrier commence à 6 heures du matin et se termine à 6 heures du soir, la plupart des fabriques exigent de leurs ouvriers 64 heures de travail hebdomadaires et les ouvriers, sans protection sociale, ne disposent d’aucun recours. En 1821, un travailleur pouvait gagner 16 shillings par semaine ; il n’en touchera plus que 6 en 1831. L’espérance de vie dans ce milieu social est inférieure à 40 ans, les enfants commençant à travailler à l’usine, de jour comme de nuit, dès l’âge de 7 ans, ou même de 4 ans parfois ! La situation en France est à peine plus brillante, seul le travail des enfants étant un peu réglementé. C’est l’Allemagne qui prendra les premières mesures sociales, sans que son industrie n’en souffre, bien au contraire. En réalité, la prétendue puissance industrielle de l’Angleterre victorienne repose sur une pauvreté immense des travailleurs. Dans ces conditions, peut-on parler d’une nation développée ?
L’autre « secret »du développement « miraculeux » de l’industrie anglaise réside évidemment dans son vaste empire colonial, qui lui fournit matières premières et main d’œuvre à très bas prix. Lorsque paraît L’origine des espèces, la seconde guerre de l’opium menée par les Britanniques contre la Chine vient de se terminer et le traité de Taijin livre la Chine à l’Angleterre, qui y contrôle un florissant trafic de drogue. En 1839, à l’empereur de Chine qui demandait à la couronne d’Angleterre de cesser d’inonder d’opium son empire, la Chambre des Communes répond ;
« Il n’est pas opportun d’abandonner une source de revenus aussi importante que le monopole de la Compagnie des Indes dans le domaine de l’opium. »
La réussite économique de l’Angleterre victorienne n’est donc qu’une façade dans la mesure où elle n’est basée sur aucune innovation technologique majeure, ni développement réel pour sa population et celles de ses colonies ; au contraire, seuls quelques intérêts financiers s’enrichissent du pillage des ressources naturelles et humaines. Dans ce contexte économique et historique qui oppose alors le système des empires britannique et français au « système américain »naissant, la théorie darwinienne arrive à point nommé pour légitimer le système économique d’Adam Smith. Le système britannique y est présenté comme synonyme de réussite, et le seul réalisable. La théorie « scientifique »de Darwin est là pour lui donner une image plus crédible pour cette époque si scientiste.
La notion de sélection naturelle est le parallèle exact de la loi du
« laisser faire, laisser aller »des libéraux. Il est remarquable que Darwin cite
lui-même Adam Smith dans La descendance de l’homme ; la notion de
compétition justifie la pauvreté des classes prolétaires et l’exploitation des
populations des pays colonisés, considérées comme des races inférieures (Darwin
avait lui-même hiérarchisé les « races »). L’un des théoriciens les plus
importants du racisme « scientifique »dont se délectent les colonialistes, est
Francis Galton, cousin de Charles Darwin. Maniaque des statistiques et des
mesures en tous genres, Galton est aussi un obsédé des problèmes de l’hérédité.
Dans son Génie héréditaire (1869), Galton prolonge le travail esquissé
par son cousin sur les races humaines. Il y soutient que les races se
distinguent non seulement par des caractéristiques morphologiques, mais surtout
par des caractères mentaux, des aptitudes intellectuelles innées, héréditaires
et inchangeables (nous dirions, aujourd’hui, « génétiquement déterminées ») ; sa
conception des races est bien sûr hiérarchisée. L’ouvrage de Galton vise à
prouver que les Blancs sont biologiquement déterminés pour concevoir et diriger,
les Jaunes et les Noirs pour travailler et obéir ! Galton distingue d’ailleurs
dans la société anglaise, elle-même en tête dans la classification des races,
une élite dont il fait partie et des êtres inférieurs qui constituent le
prolétariat.
Galton n’a pas le monopole de ce type de théorie : le français Ernest Renan écrit en 1871, pour justifier la colonisation :
« La colonisation en grand est une nécessité politique tout à fait de premier ordre ... La conquête d’un pays de race inférieure par une race supérieure qui s’y établit n’a rien de choquant... Autant les conquêtes entre races égales doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est de l’ordre providentielle de l’humanité. »
L’origine des espèces et son exploitation par les divers héritiers de Darwin
servit donc à merveille de justification « morale »à la politique économique des
empires de cette fin du XIXème siècle.
Le darwinisme entre en réalité parfaitement dans le « moule » de la philosophie de l’oligarchie libérale de cette fin du XIXème siècle : hostilité envers l’idée d’individu et de progrès humain, mépris du caractère sacré de la vie ... Il est la justification et la base d’un système économique fondé sur le pillage des ressources considérées comme limitées, et sur l’exploitation de l’homme vu comme marchandise.
Les deux systèmes, le libéral (représenté par Darwin et Galton) et le
communiste (Marx), portent en germe le même fascisme puisque, dans les deux cas,
l’existence de l’individu en tant qu’être éducable et perfectible se trouve
niée. La sympathie philosophique de Marx pour Darwin est symbolique de la façon
dont deux « idéologies »a priori contraires se rejoignent. Marx écrit en 1860
qu’il voit en Darwin « le fondement fourni par l’histoire naturelle à notre
façon de voir ». Il lui envoie même un exemplaire dédicacé du
Capital. En 1880, il demandera même à Darwin de revoir les chapitres XII
et XIII de l’édition anglaise du Capital, qui s’appuient sur L’origine
des espèces. Darwin, peu attiré par la politique économique, refusera, mais
Marx verra toujours en Darwin un allié.
En cette fin du XIXème siècle, la théorie darwinienne est largement mise en avant, « médiatisée »parce qu’elle arrange tout le monde. Les pères du marxisme ont compris comment exploiter son matérialisme, l’oligarchie du système ultralibéral avait là une justification « scientifique »du système économique d’exclusion alors établi. Mais certains cherchèrent à aller plus loin encore, peu de temps après la parution de L’origine des espèces, quelques-uns virent dans la théorie de Darwin les bases d’un véritable projet de société basée sur la limitation des naissances, en particulier des « moins aptes », et sur l’amélioration de la « race supérieure ». Appliquant à la société humaine la théorie de la sélection naturelle, la démarche consiste à mettre en place des mesures faisant en sorte de laisser jouer, voire de renforcer (sélection artificielle) le processus de sélection du plus apte.
L’inventeur de l’eugénisme est Francis Galton, que nous avons déjà évoqué. Il
le définit comme « la science de l’amélioration des populations humaines,
visant à donner aux meilleures les moyens de prévaloir rapidement sur les moins
bonnes » [11]. Comme on l’a déjà vu, Galton met l’Anglais de
classe sociale élevée au sommet d’une hiérarchie de « races ». Ce terme a chez
lui soit le sens de groupe ethnique, soit le sens de groupe social (oligarchie,
prolétariat...). Galton veut classer les hommes par « degrés de mérite ». Fou de
statistiques, il est l’initiateur de tests d’anthropométrie et de psycho
sociométrie.
Outre la conception raciste et biologiste de l’homme, deux autres principes servent de base à l’eugénisme. Le premier est ce qu’on pourrait appeler le principe malthusien. Laissons Darwin lui-même l’exprimer : « Les membres insouciants, dégradés et souvent vicieux de la société tendent à s’accroître dans une proportion plus rapide que ceux qui sont plus rapides et ordinairement plus sages » (dans La descendance de l’homme). En d’autres termes, les « moins aptes »se multiplient très dangereusement, beaucoup plus vite que les élites.
Voilà qui rappelle étrangement les discours officiels et actuels sur la démographie (l’idée de la dernière phrase n’étant pas publiquement exprimée, mais bien souvent sous-entendue) : dans tous les cas, l’homme n’est qu’un fardeau et la pauvreté une « abjecte »fatalité ! En 1869, dans un de ses écrits (Heredit aryenius), Galton décrit une société « idéale » dans laquelle les jeunes filles auraient une morphologie « promettant la naissance d’une noble race » et les hommes seraient formés par « l’athlétisme et les exercices militaires » [12]. Pour parvenir à cette société spartiate, Galton souhaite la destruction du « monopole de la religion »et son remplacement par une sorte de « clergé scientifique » [13]. Il identifie dans les valeurs de l’Eglise (en particulier sa conception noble de chaque être humain) le dernier ennemi à abattre et veut faire de l’eugénisme « un dogme religieux pour l’humanité ».
Galton fonde avec Léonard Darwin, le fils de Charles (c’est décidément une
affaire de famille !), une Société pour’ l’éducation eugénique que Léonard
présidera de 1911 à 1928. En 1912, L. Darwin présidera à Londres le premier
Congrès international d’eugénisme. La même année apparaît une société française
d’eugénisme. A sa mort (1911), Galton laisse une donation pour la création d’une
chaire d’eugénisme, à l’University College de Londres. Le poste sera
effectivement occupé par son élève, Karl Pearson, qui préconisera le refoulement
des « races inférieures », jugeant la coexistence, même sous domination
impériale, trop néfaste.
Cette période de l’avant-guerre est une époque charnière, l’Europe oscille entre la possibilité d’un développement industriel et scientifique et le jeu dangereux des empires (britannique, russe et austro-hongrois) qui veulent préserver leur pouvoir et qui conduiront à la guerre. Pour toute l’oligarchie de l’époque, les développements sociaux et pseudo-scientifiques de la théorie darwinienne ne peuvent être qu’une merveilleuse carte à jouer. Ainsi la doctrine eugéniste, née en Angleterre, va très vite essaimer un peu partout dans le monde, et le « racisme scientifique », atout de la logique impériale, devient vite un sujet de débat public et courant.
En France, Gobineau et Vacher de La Pouge sont les « théoriciens »du racisme
les plus connus. Le comte de Gobineau, diplomate, contemporain de Darwin, ne
fonde même pas son racisme sur la pseudo-justification de la sélection
naturelle, puisqu’il publie Essai sur l’inégalité des races quelques
années avant L’origine des espèces. Il met « l’aryen »au sommet de la
hiérarchie des races. Vacher de la Pouge (né en 1854) qui lui, connaît les
travaux de Darwin, développe les mêmes thèses avec, en plus, une très forte
connotation antisémite. Cet auteur français sera largement repris par les nazis.
Après la Première guerre mondiale, dans une période d’humiliation du vaincu
(traité de Versailles), le débat eugéniste garde tous ses droits. Charles Richet
et Alexis Carrel, tous deux prix Nobel, sont deux figures importantes du lobby
eugéniste français. Charles Richet, reprenant les conceptions de Galton sur la
« race », écrit dans sa Sélection humaine (1919) : « Avant tout, il
faudra éviter tout mélange des races humaines supérieures avec des races
humaines inférieures (...) Nous créerons ainsi, parmi les races qui peuplent la
terre, une véritable aristocratie, celle des Blancs, non mélangés avec les
détestables éléments ethniques que l’Afrique et l’Asie introduisaient parmi
nous ».
Alexis Carrel, prix Nobel de physiologie en 1912, publie, en 1935, L’homme, cet inconnu. Il est alors chirurgien de renommée mondiale. Dans cet ouvrage, vendu à des centaines de milliers d’exemplaires, il s’inquiète de l’affaiblissement de la sélection naturelle sur l’espèce humaine et appelle, lui aussi, à la constitution d’ « une aristocratie biologique héréditaire ». Conseillant le conditionnement des criminels les moins dangereux par le fouet ou quelque autre moyen plus scientifique, il déclare, concernant les criminels les plus dangereux, « qu’un établissement euthanasique pourvu de gaz appropriés, « permettrait »d’en disposer de façon humaine et économique ». Carrel, qui passa une grande partie de sa carrière aux Etats-Unis (de 1905 à 1941), rentre en France le 16 avril 1941. Huit mois plus tard il est reçu par Pétain ; une Fondation pour l’étude des problèmes humains est fondée, dont Carrel est le régent. L’objectif est d’ « étudier des mesures propres à sauvegarder, à améliorer et développer la population française dans toutes ses activités ».
Le 15 décembre 1941, se tient à l’Hôtel-Dieu de Lyon la première réunion des
médecins partisans de la « révolution nationale ». Leur guide commence par les
mots suivants : « Le problème le plus urgent et le plus grave de l’heure
présente est celui que posent la race française et son relèvement. Cette race
est décadente, tant au point de vue physique qu’au point de vue moral » [14]. Le lobby eugéniste ne parviendra pas a imposer de lois sur
la stérilisation de personnes atteintes de maladies héréditaires, mais il
obtient, en 1942, une loi obligeant les futurs mariés à subir une visite
médicale prénuptiale, le médecin pouvant déconseiller éventuellement l’union,
mais ne pouvant s’y opposer. La France, parce que scientifiquement plus attachée
aux idées de Lamarck, qu’à celles de Darwin et aussi parce que très marquée par
le catholicisme, n’ira pas aussi loin que d’autres pays en matière
d’eugénisme.
L’Amérique du début du XXème siècle est un terrain très favorable à cette idéologie : les grandes familles WASP (White Anglo-Saxons Protestants) américaines y voient une justification soi-disant scientifique de leur pouvoir politique et économique, et songent à utiliser les pratiques d’exclusion et de sélection de l’eugénisme pour écarter tous ceux avec lesquels elles ne veulent pas partager le pouvoir (pauvres, nouveaux immigrants juifs ou italiens) qui arrivent en masse. Le lobby esclavagiste ne peut que se réjouir des développements de la théorie de Darwin. Pour d’autres (réformateurs, politiques ...), l’eugénisme est la solution de facilité à tous les problèmes sociaux qui vont alors en s’aggravant (chômage, pauvreté ...) et que les réformes sociales sont impuissantes à résoudre faute de grands desseins. Cette prétendue inefficacité des réformes sociales prouverait donc que les pauvres sont de par leur naissance irrémédiablement condamnés à cette condition, la seule « politique »à adopter à leur égard étant de limiter leur « prolifération ». L’eugénisme, présenté comme théorie scientifique, donc respectable, devient rapidement le credo de bon nombre d’universitaires, de scientifiques et de dirigeants politiques. Pour tous ceux là, tous les maux de l’Amérique proviennent de la multiplication excessive des êtres débiles et son salut ne dépend que de sa détermination à améliorer la qualité de sa population.
La qualité signifie ici qualité génétique, puisque la conception de l’homme
est entièrement biologique ; il n’est pas question de niveau d’éducation
(qualification). Le Président Théodore Roosevelt, parfait porte-parole des
grandes familles « sang-bleu », écrit le 3 janvier 1913 à son ami Davenport :
« Nous prendrons conscience un jour que le premier devoir, le devoir auquel
ne peut se soustraire tout bon citoyen de souche saine, est de laisser au monde
son sang après lui, et que nous n’avons pas à perpétuer des citoyens de
catégorie inférieure. Le grand problème de la civilisation est d’assurer une
augmentation normale des éléments de plus grande valeur par rapport aux éléments
de moindre valeur ou nocifs de la population (…) on ne peut faire face au
problème sans prendre en considération pleinement l’influence de l’hérédité (…)
je souhaiterais beaucoup qu’on empêchât entièrement les gens de catégories
inférieures de se reproduire, et quand la nature malfaisante de ces gens se
manifeste, des mesures devraient être prises en ce sens. Les criminels devraient
être stérilisés et il devrait être interdit aux personnes faibles d’esprit de
laisser des rejetons après elles » [15].
Notons au passage que l’actuel président des Etats-Unis, George Bush, éprouve une admiration profonde pour T.Roosevelt !
La redécouverte des lois de l’hérédité de Gregor Mendel confirme alors généticiens et eugénistes dans l’idée que les caractéristiques des êtres vivants sont déterminées par les gènes seuls, agissant indépendamment. Le généticien John Hopkins déclare : « Les maux dont souffre le monde et le remède à ces maux résident fondamentalement dans les constitutions diverses des êtres humains. Les lois, les coutumes, l’éducation et le cadre matériel sont des créations de l’homme et reflètent sa nature essentielle. Tenter de corriger ces choses, ce n’est que soigner des symptômes spécifiques. Pour aller à la racine des problèmes, il faut donner naissance à une catégorie d’hommes meilleurs, une catégorie qui ne comporte pas les genres inférieurs. Lorsqu’une meilleure catégorie se sera chargée des affaires du monde, les lois, les coutumes, l’éducation, les conditions matérielles prendront soin d’elles-mêmes toutes seules » [16].
Dans cette conception, l’homme n’est pas perfectible, il est défini par une « essence »biologique et génétique, qui n’est qu’un ensemble de caractéristiques fixes définitives, soumises aux lois de l’hérédité. Les lois ne sont que des reflets de la constitution biologique des êtres humains. Dans ces conditions, l’action politique véritable n’a aucune existence, le « projet de société » est limité à la domination des « plus aptes » (désignés de façon arbitraire) et à l’élimination des faibles (les pauvres, les sans-pouvoirs).
Pendant cette période de l’histoire des Etats-Unis, ces scientifiques « extrémistes »tiennent le haut du pavé, essentiellement parce qu’ils bénéficient du financement et du soutien des familles « sang-bleu »et du président T. Roosevelt, eugéniste et malthusien fanatique. Ainsi, en 1910, Mme Harriman, femme d’un célèbre industriel, convainc son mari d’acheter un terrain à Cold Springs Harbour (Etat de New-York). L’Eugenic Record Office (bureau d’enregistrement de l’Eugénisme) s’y installe sous la direction de Davenport et Harry Laughlin. En 1928, le lobby eugéniste contrôle les trois quarts des universités et grandes écoles américaines et y enseigne l’eugénisme. Le professeur Hooton, de Harvard, prêche que : « La solution aux problèmes de criminalité, c’est l’élimination de tous ceux qui ne sont pas aptes physiquement, mentalement ou moralement, ou bien, si cela parait trop sévère, leur isolement dans un milieu aseptique » [17]. Le président de l’université de Stanford résume assez bien l’état d’esprit de l’époque : « le sang du pays détermine son histoire… l’histoire du pays détermine son sang » [18].
La première mise en application des idées eugénistes est la politique de stérilisation forcée des criminels, des malades mentaux et asociaux... La première loi est votée en 1907, dans l’Etat de l’Indiana (de 1899 à 1912, 236 vasectomies auraient été pratiquées dans cet Etat.) D’autres Etats suivent ensuite, notamment la Virginie. En 1927, ces lois sont soumises à la Constitution, et la Cour Suprême décide qu’elles relèvent de la seule autorité des Etats. En 1931, trente Etats ont voté des lois sur la stérilisation. De 1899 à 1935, entre 20 000 et 70 000 personnes (selon les sources) auraient été stérilisées de force dans l’ensemble des Etats-Unis. Parmi les « asociaux »touchés par la répression figurent aussi des chômeurs et des Noirs. Les statistiques des hôpitaux psychiatriques dans lesquels ont été effectuées les stérilisations montrent que la majorité des victimes sont des pauvres, et plus de la moitié des Noirs. En Virginie, toute personne touchant des allocations de chômage est alors susceptible de subir une stérilisation forcée, des battues sont organisées pour retrouver les chômeurs fuyant cette menace. Plusieurs Etats interdisent le mariage des « alcooliques » et des personnes porteuses de maladies héréditaires (comme l’hémophilie). Les deux principaux instruments de propagande sont l’utilisation de pseudo-arbres généalogiques et le test de Binet, premier test de Quotient intellectuel (Q.I.). Lauglin, dirigeant du bureau d’eugénisme, estime que 10%, de la population américaine est constituée de « variétés biologiques socialement inaptes » et appelle au salut de l’Amérique par la préservation de la qualité de son sang.
Le second succès du lobby eugéniste composé de certaines grandes familles et de « scientifiques marionnettes », est la loi sur l’immigration de 1924 (Immigration Restriction Act). Celle-ci met en place un filtrage racial soigneux fondé sur des critères eugénistes, des nouveaux immigrants. Dans cette période de crise économique et de mécontentement, le discours anti-immigration est bien reçu et est aussi un moyen d’introduire les thèses eugénistes dans tout le pays. Ainsi, l’économiste Irving Fischer écrit à Davenport, en 1912 : « L’eugénisme n’aura jamais de force véritable tant qu’il n’aura pas commencé, comme le voudrait Galton, à être un mouvement populaire comportant une certaine ferveur religieuse… et comme il existe déjà un certain courant en faveur de la réduction de l’immigration… c’est une chance en or qui se présente pour que des gens adhérent à l’eugénisme ». [19] [20]
Revenons à l’Amérique de l’avant-guerre. En 1907, une commission du Congrès a établi que « les immigrés des régions méditerranéennes étaient biologiquement inférieurs aux autres immigrants » [21]. Les Slaves, les Juifs, les Noirs et les Indiens sont rejetés aussi ; seuls les Nordiques sont considérés comme de « bons immigrés ». La première loi limitant l’afflux des Européens du Sud est votée en 1921. Harry Laughlin, du bureau d’enregistrement de l’eugénisme (financé par la famille Harriman), est officiellement nommé conseiller en eugénisme du « comité d’immigration et de naturalisation », devant lequel il déclare sans y recevoir de contradiction : « l’immigration récente présente, dans son ensemble, un pourcentage de capacités innées socialement inadéquates plus élevés que dans les groupes plus anciens » [22]. Le secrétaire d’Etat au Travail de l’époque, James Davis, résume assez bien l’état d’esprit dans lequel l’Immigration Act est voté (1924) par le Congrès avec une très faible opposition : « L’Amérique a toujours été fière d’avoir à sa base une population issue de la race dite nordique… Il nous faut rejeter de nos rivages tous les Individus de toutes races, physiquement, mentalement, moralement et spirituellement indésirables, et qui constituent une menace pour notre civilisation [23] »
La politique d’hygiène raciale américaine fait des émules. En 1932, alors
qu’Hitler arrive au pouvoir, des représentants du gouvernement allemand écrivent
aux différents Etats pour obtenir des renseignements sur les lois américaines
portant sur les stérilisations. Boeters, l’un des avocats de l’eugénisme en
Allemagne, déclare : « Ce que nous, hygiénistes raciaux, cherchons à
promouvoir, n’a rien de nouveau et d’inouï. Dans un pays de culture de première
grandeur, les Etats-Unis d’Amérique, de telles mesures ont été introduites il y
a longtemps ». [24]
En 1933, Hitler décrète la loi sur l’hygiène de l’hérédité, première étape d’une politique de triage d’une ampleur jamais atteinte, mais dont les bases avaient été jetées par toutes les oligarchies du monde et par les théoriciens du racisme. Tout au long des années trente, la société américaine de génétique tiendra ses rencontres annuelles. De nombreux débats ont lieu pour savoir s’il faut condamner la politique eugéniste du troisième Reich, mais le nombre de voix ne sera jamais suffisant pour approuver cette condamnation. Harry Laughlin, conseiller en eugénisme du comité d’immigration, reçoit en 1936, le titre de docteur honoris causa de l’université d’Heidelberg pour sa contribution à l’eugénisme.
Six millions d’innocents y laisseront la vie... Sans qu’hélas l’après-guerre ne voie pour autant la disparition de cette idéologie de l’exclusion et de la haine de l’homme.
La seconde modification par rapport à la période de l’avant-guerre est la montée en puissance des sciences dites humaines (sociologie, psychologie...). L’étude des comportements humains et des performances intellectuelles se développe dans la matrice culturelle de la pensée darwinienne, pour devenir un instrument de discrimination et de contrôle des populations.
L’héritage du courant de pensée eugéniste du XIXème siècle et du début du XXème est, on le verra, la mise en place d’un ordre politique mondial fondé sur des conceptions malthusiennes.
Deux grands principes se dégagent de la thèse de Wilson. Premièrement, il ne fait aucune distinction fondamentale entre une « société »animale (par exemple une termitière) et la société humaine. Il part donc, comme en psychologie, de l’étude des comportements animaux pour les extrapoler à l’homme. Deuxièmement, pour Wilson, les comportements sociaux animaux ou humains ont été façonnés par la sélection naturelle au cours de l’évolution. Les rapports plus ou moins lâches entre individus de même espèce sont déterminés par la compétition ou la coopération pour l’appropriation des ressources (bien sûr, limitées) de l’environnement - en quelque sorte, la socialisation de la lutte pour la survie. Comme tout ce qui est régi par la sélection naturelle, les comportements sociaux sont innés et génétiquement déterminés. Leur but et effet sont d’augmenter le nombre de descendants de l’individu (réduit à son seul génotype) au sein de la population. Par exemple, l’altruisme envers ses proches et la tendance d’un individu à vouloir former une famille serait pour lui un moyen de maximaliser sa chance de transmettre les gènes qui lui sont spécifiques à la population à venir ! Wilson identifie un certain nombre de comportements sociaux « génétiquement déterminés » : dominance, tendance à former une famille nucléaire, altruisme vis-à-vis de ses proches impliquant haine des autres, tribalisme et territorialité impliquant guerre et xénophobie. II réduit donc les rapports entre êtres humains à une sorte de compétition entre différents patrimoines génétiques. Pour lui, tout individu se définit par rapport à sa tribu, en tant que groupe ayant un certain patrimoine génétique à préserver et à propager dans un environnement aux ressources limitées. Wilson n’apporte rien de nouveau (hormis un amas de données pseudo-scientifiques), par rapport au darwinisme social de Galton ou de Darwin. Tout caricatural qu’il puisse paraître, Wilson est très représentatif d’une tendance des sciences humaines à considérer l’individu comme une entité fixe, déterminée dès sa naissance, non perfectible et dont on peut prévoir et donc contrôler le comportement essentiellement déterminé par les pressions de l’environnement.
L’utilisation des tests de Q.I. (quotient intellectuel) reflète parfois, en psychologie, exactement la même tendance et sera, on le verra, un instrument politique intéressant pour tenter la mise en place d’un eugénisme « soft ».
Les pays anglophones vont profondément pervertir le test de Binet. En effet, il est appliqué aussi aux adultes, et le rapport entre âge mental et âge réel est formalisé sous la forme d’un rapport mathématique (quotient d’intelligence égale âge mental sur âge réel). Le Q.I. devient, sous cette forme, la mesure d’une aptitude fixée héréditairement, donc non perfectible, variant entre individus et, selon certains, entre races et classes sociales.
Cyril Burt, principal introducteur des tests d’intelligence en Angleterre, est typique de cette attitude. Jusqu’à sa mort en 1971, ce psychologue décoré par la reine d’Angleterre et par l’American Psychological Association, soutiendra que le test de Q.I. mesure l’intelligence, que celle-ci est fixée définitivement à la naissance et héréditaire : « Si l’intelligence est innée, le degré d’intelligence est fixé pour la vie. Le contenant limite forcément le contenu. Il est impossible qu’un pot d’une pinte puisse contenir plus d’une pinte de lait, il est de même impossible que le niveau d’instruction d’un enfant puisse dépasser ce qui lui est permis par sa capacité à s’instruire » [25]. Cyril Burt prétend avoir démontré l’héritabilité du Q.I. par l’étude de couples de vrais jumeaux séparés dès leur naissance. Selon lui, ils ont des Q.I. très voisins, bien qu’ayant vécu dans des conditions très différentes, car ils ont le même patrimoine génétique. On découvrira par la suite que ces travaux, effectués entre 1943 et 1966, étaient totalement frauduleux. Les résultats des tests de Q.I. effectués sur les jumeaux étaient purement imaginaires.
Les travaux de Cyril Burt sur l’héréditabilité de l’intelligence repose sur trois fraudes simultanées : la première est de prétendre que l’intelligence est ce qui est mesuré par les tests (nécessairement fixes et assez arbitraires) ; la deuxième est de voir dans l’intelligence une grandeur mesurable, fixe et génétiquement déterminée, la troisième est l’invention pure et simple des résultats de l’expérience ! Lorsque les mensonges de Burt sont révélés, l’affaire fait scandale dans le milieu de la psychologie, mais l’approche « héréditariste »et fixiste de la psychologie humaine ne disparaît pas pour autant. En effet, cette conception de l’intelligence humaine séduit car elle justifie, sous une couverture pseudo-scientifique, une politique de triage au niveau de l’éducation et du droit au développement. En Angleterre, les travaux de Burt sont à la base d’un examen appelé « onze-plus », pièce maîtresse du système de sélection scolaire de la période d’après-guerre. Le « onze-plus », pratiqué sur des enfants de dix-onze ans, est une série de tests d’évaluation de l’intelligence générale. Selon les résultats, les élèves sont orientés vers les lycées et suivront des études secondaires, ou bien, pour les plus faibles, vers des collèges techniques ou d’enseignement général.
Aux Etats-Unis aussi, les travaux de Cyril Burt sur les Q.I. sont repris, avec en plus un aspect plus ouvertement raciste. Le psychologue américain Arthur Jensen est un très fidèle disciple de Burt. Il fait référence à ses travaux comme la « tentative la plus convaincante d’estimation de l’héritabilité du Q.I » [26]. Même après la découverte de la fraude de Cyril Burt, A. Jensen ne reviendra jamais sur son accord fondamental avec le psychologue anglais. Jensen compare les résultats aux tests de Q.I. entre enfants blancs et enfants noirs. Dans son livre, Educability and Group Differences (Educabilité et différences entre groupes), Jensen conclut que les différences observées, soi-disant favorables aux Blancs, sont significatives et trop grandes pour être expliquées par des facteurs « d’environnement »et qu’elles proviennent de différences génétiques.
Pour Jensen, la valeur du Q.I. est influencée pour 80 % par l’hérédité et
pour 20 % par l’éducation. Dans son ouvrage de 1970, Hierarchical Theories on
Mentality, il déclare : « Il y a des gènes de l’intelligence, qui se
trouvent dans des proportions différentes selon les populations, un peu comme la
distribution des groupes sanguins. Le nombre de gènes d’intelligence paraît plus
bas, dans l’ensemble, chez les Noirs que chez les Blancs » [27]. Jensen propose de réserver aux enfants noirs
un enseignement purement technique, les destinant à devenir ouvriers, et de
réserver aux Blancs uniquement les disciplines « intellectuelles » ! Les
politiques réservent un bon accueil au « jensénisme ». Arthur Jensen, ainsi
qu’un de ses collaborateurs, W. Shockley, prix Nobel de physique, sont invités à
témoigner devant le Comité républicain sur les ressources et la population au
Congrès, le 5 août 1969. L’homme qui les a conviés n’est autre que George Bush,
alors député républicain du Texas ! Shockley souhaite la stérilisation des
individus de faible Q.I., c’est-à-dire, selon la théorie de Jensen, les Noirs.
Et le physicien, sûr de son génie, a fait congeler son sperme pour la création
de la « race supérieure »future !
L’administration américaine, à partir de la seconde moitié des années 60, ne peut qu’accueillir à bras ouverts ce genre d’extrémistes. Les arguments de Jensen et Shockley justifient la réduction des dépenses pour l’éducation et, surtout, ils correspondent parfaitement à la philosophie malthusienne de « l’élite »de l’époque. Le député George Bush, aujourd’hui Président des Etats-Unis, commente ainsi les déclarations de Shockley : « Le Dr Shockley a déclaré qu’il estime que l’Académie des Sciences a l’obligation intellectuelle de faire un exposé clair et pertinent des faits relatifs aux aspects héréditaires de la qualité humaine. En outre, il a maintenu que nos programmes bien intentionnés d’assistance sociale pourraient produire sans le vouloir une régression de la qualité de population américaine ». [28]
A l’intérieur, les Noirs et les pauvres sont considérés comme les fauteurs de troubles. La génétique explique leur révolte par un dysfonctionnement d’ « organe du comportement ». Dans les prisons, certains détenus sont traités pour leur « déviance sociale »par des substances chimiques ou par des méthodes de conditionnement tirées de la psychologie animale. La montée des thèses du déterminisme biologique, dans les années 60-70, est en partie la réponse au militantisme noir : puisque les Noirs sont prétendument génétiquement moins intelligents que les Blancs, les programmes sociaux à leur intention sont inutiles et ils n’ont pas à réclamer des salaires et des statuts égaux à ceux des Blancs ! Surtout, les pauvres sont des bouches à nourrir dans un univers aux ressources présentées comme limitées et, par conséquent, le seul programme d’éducation qui leur est réservé est le planning familial !
A l’extérieur, l’obsession est la même : stopper la croissance démographique des pays du Sud, c’est-à-dire des populations pauvres. Les thèses de Malthus deviennent, à partir de cette époque, le passage obligé de tout discours sur les rapports Nord-Sud.
La même année, Paul et William Paddock présentent cette politique de « triage »des pays à aider ou à abandonner en termes clairs (Le temps des famines : l’Amérique et la crise alimentaire mondiale) : « L’explosion démographique dans les nations connaissant la famine, combinée à leur agriculture stagnante, fait que, pour beaucoup d’entre elles, la famine est inévitable ( ... ) Les populations atteintes se verront dans l’impossibilité de payer toutes les importations de nourriture dont elles ont besoin. Par conséquent, les affamés de ces régions ne pourront être soulagés que par la charité des autres nations (...). Les Etats-Unis seront l’unique espoir des nations connaissant la famine. Cependant, les Etats-Unis, même s’ils cultivent toutes leurs terres, même s’ils ouvraient toutes grandes les vannes de la charité, n’auraient pas assez de céréales et autres denrées alimentaires pour garder en vie tous les affamés. Par conséquent, les Etats-Unis devront décider à quel pays ils doivent envoyer de la nourriture, et à quels pays ils n’en enverront pas (...) Sur le champ de bataille de la guerre à venir, la pratique du triage sera vital car les choix devront être faits, à savoir quels pays blessés devront recevoir de la nourriture » [29]. Bien entendu, les pays qui recevront l’aide en question seront ceux qui se soumettent à une sévère politique de réduction des naissances...
William Paddock est alors président du Fonds pour l’environnement et travaille au département d’Etat. En 1972, est publié Halte à la croissance, sous les auspices du Club de Rome. Là, un cercle d’intellectuels, souvent issus de l’establishment américain et attachés aux services de prévision économique de l’OTAN, préconise, sous prétexte d’épuisement imminent des ressources naturelles, « l’abandon de l’éthique de la croissance »et encourage « la conservation des ressources et le renoncement ». Ce livre, édité par Aurelio Peccei, dirigeant du Club de Rome, préconise une espèce humaine composée de trois milliards d’êtres humains au maximum. Peccei qualifie la prolifération humaine de « métastase cancéreuse ». Bien sûr, et cela n’est pas dit publiquement, c’est la prolifération des pauvres et des populations des pays du tiers monde qu’il faut empêcher, puisqu’ils ne sont soi-disant pas capables de subvenir à leurs besoins, et non celle des nantis qui ont fait la preuve de leur « aptitude ». Cela est bien entendu présenté comme un acte de profonde charité !
Le mémorandum envisage aussi « les conséquences politiques des facteurs
démographiques dans les pays du tiers monde ». La menace est l’émergence
d’actions révolutionnaires dans les populations jeunes et, à terme, le transfert
du « leadership »politique et militaire américain vers les pays du Sud, beaucoup
plus peuplés. Le rapport présente ensuite la nécessité d’une politique de
dénatalité pour ces pays : « Quoique nous fassions pour nous prévenir contre
des ruptures d’approvisionnement, les Etats-Unis vont avoir des quantités
toujours plus grandes de minéraux en provenance des pays étrangers. Les
Etats-Unis ont donc intérêt à promouvoir la stabilité politique, économique et
sociale des pays producteurs. Là où une réduction des taux de naissances peut
contribuer à cette stabilité, la politique démographique devient importante du
point de vue des approvisionnements en matières premières et des intérêts
économiques des USA ».
Les orientations de NSSM 200 sont appliquées comme politique officielle à partir de 1975, sous le Président Ford, notamment par George Bush, alors directeur de la CIA. Que dire de plus sur ce document, sinon qu’il définit une vision totalement sociobiologiste des rapports Nord-Sud ? Jusqu’à aujourd’hui, la préoccupation majeure des membres de l’establishment américain, qui conçoivent en réalité les autres et eux-mêmes comme autant d’animaux plus ou moins pensants, est l’appropriation des ressources par l’élimination des populations concurrentes et par le maintien d’une relation de « domination politique ». La capacité de l’homme à définir de nouvelles ressources par la maîtrise de nouvelles technologies étant oubliée, aucune notion de développement économique mutuel n’est possible et les Etats-Unis exercent donc leur « leadership », non plus comme possibilité de développer l’ensemble des pays \du monde, mais sous la forme d’un simple rapport de force.
Avec cette philosophie, comment s’étonner du résultat catastrophique des politiques d’institutions financières comme le FMI et la Banque Mondiale (famine, épidémies...). Les crédits accordés ne sont jamais alloués à des transferts de technologie et à la réalisation de grands projets d’infrastructures, mais servent au paiement d’une dette largement illégitime dans la mesure où les produits d’exportation des pays du Sud n’ont jamais été payés à leur juste prix. Le résultat, qu’il ait été calculé à l’avance ou non importe peu, est celui que réclame la logique malthusienne énoncée dans le NSSM 200.
Cette idéologie malthusienne est largement reprise par les milieux scientifiques. En 1970, Bentley Glass, généticien américain et ancien président de l’American Academy for the Advancement of the Sciences, déclare : « Dans un monde surpeuplé, il est impossible de continuer à affirmer que le droit de l’homme et de la femme de se reproduire comme ils l’entendent est inviolable » [30], et il ajoute : « dans un monde où chaque couple doit être limité, en moyenne, à procréer deux enfants au plus, le droit qui va devenir essentiel ne sera plus celui de procréer mais bien le droit pour tout enfant de naître doté d’une constitution physique et mentale saine, basée sur un génotype sain. A l’avenir, aucun parent n’aura le droit de surcharger la société du poids d’un enfant malformé ou mentalement incompétent ».
Dans un univers fini aux ressources en voie d’épuisement, le faible,
l’handicapé, l’individu non productif est une charge à la société. Aussi
encourage-t-on aujourd’hui les femmes qui attendent, ou ont simplement quelque
probabilité d’engendrer un enfant mal formé, à subir « un avortement
thérapeutique ». Le grand généticien Francis Crick, découvreur de l’ADN,
souhaite une décision politique ferme pour assurer le contrôle de la fertilité :
« Il ne serait pas très difficile pour un gouvernement de mettre quelque
chose dans notre nourriture, pour empêcher qui que ce soit d’avoir des enfants.
Il pourrait alors très bien administrer un autre produit chimique qui annulerait
les effets du premier, et seuls les gens autorisés à procréer recevraient ce
deuxième produit » [31]. Nous entrons ainsi, du moins virtuellement, dans Le
meilleur des mondes d’Aldous Huxley ...
On peut s’étonner que de pareilles conceptions soient aussi facilement acceptées, aujourd’hui encore plus qu’hier, par tout un chacun. L’écologisme, d’ailleurs totalement perverti, est depuis le début des années 70, le paravent idéal des conceptions malthusiennes. Au nom de la légitime préservation de la nature, on met en avant une conception de plus en plus pessimiste de l’homme, pollueur, destructeur, mangeur de ressources et en plus prolifique. On manipule l’opinion publique pour lui faire accepter, en dernier ressort, le non-développement économique. A en croire les médias, il est certain que, d’ici l’an 2000, le ciel va « nous tomber sur la tête » : l’effet de serre accentué par un trop-plein d’industrie va faire fondre les calottes polaires, le trou dans la couche d’ozone nous condamne tous au cancer, « l’explosion démographique » du tiers monde nous promet « des transferts de populations massifs »et la destruction des écosystèmes.
Le but de cette propagande s’apparente aux fantasmes de l’an 1 000, créer une société haïssant la science et la technologie, génératrices d’une diminution du taux de mortalité (donc d’une augmentation du nombre de pollueurs-consommateurs), une société définie par la peur de l’avenir, méprisant le caractère de la vie et trouvant refuge dans l’hédonisme ou les auto-rédemptions du « nouvel âge »... Mission accomplie en grande partie, hélas !
Laissons parler un instant Gabriel Ullmann, docteur-ingénieur chimiste chargé de formation à l’ENA (Science et Technologie du mois d’avril 1991) : Nous illustrerons ainsi comment Thomas Malthus, tout de « vert vêtu », revient dans le débat actuel : « Combien de planètes Terre par an faudrait-il pour satisfaire les besoins de la population mondiale, le jour où celle-ci consommerait per capita autant de ressources naturelles que les habitants des pays développés ? De plus, l’explosion démographique ajoutée à l’explosion urbaine conduit à l’obligation de nourrir de plus en plus d’hommes qui ne produisent rien, ce qui nécessite, outre une logistique et des moyens d’approvisionnement et de distribution performants - dont sont démunis les PVD - l’augmentation de la productivité des terres dont le seul doublement demande une multiplication de l’ordre de 10 de la consommation d’engrais et de pesticides, avec une forte dépense en énergie, et de graves risques d’érosion et de pollution. Conformément aux thèses de Malthus et de Condorcet, la population mondiale croît de manière géométrique ; alors que ses moyens de subsistance progressent selon une simple progression arithmétique, d’où un déficit alimentaire, économique, et écologique croissant ».
Gabriel Ullmann, comme son père spirituel Malthus, efface le fait que les technologies avancées permettent justement de résoudre les problèmes écologiques d’un moment donné, et qu’elles introduisent des « sauts qualitatifs »dans l’histoire du développement humain permettant, d’une manière non linéaire, de dépasser les limites apparentes de peuplement par une transformation plus efficace de la nature. Pascal Riché, dans le journal Libération du 30 avril 1992, reprend la même rengaine ouvertement malthusienne (avec les mêmes préoccupations « écologistes ») :
« Malthus avait raison, l’enfer c’est le bébé : il en naît beaucoup trop. Ça tue le développement, qui n’arrive pas à suivre le rythme », et il ajoute qu’au niveau de la consommation des ressources, « soit le tiers monde se hisse au niveau des pays industrialisés et c’est un désastre écologique. Soit il ne le fait pas, et c’est un désastre humanitaire ».
Le drame est qu’une telle idéologie soit popularisée dans la presse écrite et à la télévision, et reçoive en même temps ses « lettres de noblesse »à l’ENA ou à Polytechnique sous forme d’enseignements pseudo-scientifiques, à grand renfort de statistiques à l’interprétation définie d’avance.
A travers la rhétorique écologisante, l’idée raciste qu’il faut faire accepter, y compris aux intéressés, est qu’étant donné les capacités déjà dépassées de la Terre, les pays du Sud ne peuvent en aucun cas se hausser au niveau, d’industrialisation des pays du Nord et user des mêmes technologies ! C’est là tout l’objectif du sommet de la Terre à Rio (juin 1992). Sous l’argument démagogique du « droit des générations futures », il s’agit en réalité de tenter la mise en place d’un impérialisme « vert »et malthusien, d’un véritable « apartheid technologique », certains étant en droit d’accéder aux applications des découvertes scientifiques, et d’autres pas. On cherche à imposer aux pays du Sud ce que la Commission environnement de l’ONU appelle, depuis 1987, un « développement durable », ce qui correspond, en clair, à un niveau de croissance que l’environnement peu « supporter », à l’application d’énergie dites renouvelables (solaire, géothermie... ) uniquement, et à l’exclusion de moyens de production d’énergie réellement efficaces (fission, fusion nucléaires), l’interdiction d’une industrialisation à grande échelle et, pour le « social », le développement du planning familial plutôt que la maîtrise de la propagation du sida ! Alors que les découvertes scientifiques majeures permettent justement de résoudre les véritables problèmes écologiques et de nourrir plus de personnes par la définition de nouvelles ressources, la science est mise au banc des accusés pour avoir supprimé l’action de la sélection « naturelle » sur l’homme.
Ainsi le commandant Cousteau, dans le Courrier de l’UNESCO de novembre
1991, s’interroge sur l’intérêt réel des progrès médicaux : « l’élimination
des virus relève d’une idée noble, mais elle pose à son tour d’énormes
problèmes, Entre l’an 1 et l’an 1400, la population n’a pratiquement pas changé.
A travers les épidémies, la nature compensait les abus de la natalité par des
abus de mortalité. (...) Nous voulons éliminer les souffrances, les maladies ?
L’idée est belle, mais peut-être pas tout à fait bénéfique à long terme. Il est
à craindre que l’on compromette ainsi notre espèce. C’est terrible à dire. Il,
faut que la population mondiale se stabilise et pour cela, il faudrait éliminer
350 000 hommes par jour. C’est si horrible à dire qu’il ne faut même pas le
dire ».
Toute la propagande médiatique sur l’écologie ne sert qu’à faire accepter, encore pour un temps et dans une période révolutionnaire, un ordre économique mondial, celui dont parle M. Bush, fondé sur l’exclusion économique des pays du Sud et sur le contrôle, à travers la géopolitique, des ressources par les pays du Nord.
Le projet de Malthus, une société où est contrôlée la « prolifération »des pauvres par leur exclusion du développement, est aujourd’hui prêt d’être réalisé à l’échelle internationale sous la forme d’une dictature masquée sous la jolie étiquette d’ « écologie planétaire ». Malgré le caractère outrancier des propos de Cousteau, très peu de voix s’élèvent pour condamner cet extrémiste. Au contraire, l’océanographe est vénéré. C’est dire combien l’idéologie malthusienne est enracinée dans les paradigmes culturels d’une population déprimée et pessimiste. Alors, comment sortir de l’enfer des conceptions darwiniennes et de leurs conséquences ?
De ce caractère perfectible de l’homme, l’histoire est une preuve flagrante : l’être humain a su conquérir tous les milieux, habiter la terre entière, à la différence des animaux coincés dans leurs niches écologiques. De 10 millions d’hommes que la planète pouvait nourrir avec les technologies de la chasse et de la cueillette, elle pourrait aujourd’hui, si l’on en prenait la décision politique, alimenter 20 milliards d’habitants avec les technologies les plus modernes déjà existantes (chiffres de Science et Technologie, 1991). Avec les applications de découvertes scientifiques nouvelles (comme la fusion thermonucléaire, la supraconductivité, dessalement de l’eau de mer...), on pourra sans doute rapidement dépasser ce chiffre. Aucun animal n’a si bien réussi, à la fois en nombre et en capacité, à conquérir de nouveaux milieux de vie !
La conception malthusienne et darwinienne de l’homme est donc non seulement immorale, choquante et criminelle ; elle est également d’une incompétence flagrante.
Dès le début, l’hypothèse de la sélection naturelle de Darwin ne permet pas de rendre l’évolution intelligible. Même si l’hypothèse se vérifie au niveau de la diversification d’une même espèce végétale ou animale, elle est incapable d’expliquer le « passage »d’un grand groupe zoologique à l’autre ou de rendre compte de l’apparition et de la réussite de l’homme. Le principe de la « survie du plus apte », ou de « la guerre de tous contre tous »chère à Hobbes, ne sauraient expliquer notre succès en tant qu’espèce humaine au cours de l’histoire. Seule la capacité unique de l’homme à comprendre les lois de l’univers infini et donc à mettre l’environnement à « son service », seule « l’agape » qui anime la coopération et le développement mutuel plutôt que la compétition, ont permis ce « miracle ».
Parce qu’elle
est contraire à la nature même de l’homme et parce qu’elle a déjà fait des
millions de victimes, il appartient à chacun de nous de combattre la logique
darwinienne qui caractérise bon nombre des décisions politiques actuelles. Il en
va de la survie de l’humanité. C’est cela la défense du droit des générations
futures, et non le malthusianisme verni de pseudo-écologisme de M. Cousteau ! En
abaissant l’homme au même niveau que les animaux soumis à la loi de la jungle,
nous violons la loi naturelle et nous mettons notre espèce en péril.
Pour gagner cette bataille philosophique, gardons en mémoire l’image de
l’homme foulant pour la première fois le sol de la Lune. Image des mondes
infinis, offerts à notre génie créateur et à notre audace ; mondes encore
inconnus, encore à découvrir, à explorer, à apprivoiser et à peupler !
Partout se répand le credo anti-populationniste visant à déguiser le génocide des peuples (surtout de couleur et du Sud) en fatalité inévitable.
Immoral et criminel ? Certes, mais surtout imbécile et incompétent.
Ce dossier, publié dans Nouvelle Solidarité en septembre 1992, retrace la logique infaillible de Darwin à Cousteau, le développement de l’eugénisme en France, aux Etats-Unis et dans l’Allemagne nazie, en passant par la solution finale d’hier et d’aujourd’hui.
La non-résolution de la crise alimentaire actuelle qui tue 24000 personnes par jours, dont 16000 enfants, doit être analysée à la lumière de ce qui est redevenu une politique.
Pourquoi se replonger aujourd’hui, en 1991, dans la lecture de L’origine des espèces, La descendance de l’homme ou d’autres ouvrages dans la lignée de la pensée darwinienne ? Simple travail d’épistémologie ? Non, beaucoup plus que cela... Aujourd’hui, à côté des beaux discours sur la démocratie et sur l’aide au tiers monde, apparaissent à la une des journaux des mises en garde contre la surpopulation (France-Soir du 14 mai 1991) : « Alerte : les bébés menacent la terre »), et des articles sur la nécessité, comme le préconisait Malthus (principal inspirateur de Darwin), de réduire la population mondiale.
L’homme n’est plus conçu que comme un consommateur de richesses dans un réservoir limité, un animal sans pouvoir créateur, guidé par ses instincts et livré à la libre concurrence... La loi générale est la survie du « plus apte ».
Charles Darwin |
Pour répondre à cette question, légitime dans la situation politique actuelle, nous montrerons la filiation entre la pensée darwinienne et eugéniste du XIXème siècle et la pensée politique de l’oligarchie dirigeante actuelle.
Qui était Charles Darwin ?
Charles Darwin naquit en 1809, dans une famille typique de la grande bourgeoisie anglaise. Il étudie la médecine, puis la théologie, sans grand succès. Le jeune homme s’intéresse surtout à la chasse et au sport. Sa passion pour l’entomologie et l’histoire naturelle lui permet d’entrer en contact avec des géologues, en particulier avec le professeur Henslow qui lui permettra de partir, pour une mission scientifique, à bord du « Beagle » (décembre 1831). La mission durera cinq ans, couvrant les archipels de l’Atlantique et les côtes de l’Amérique du Sud. En 1845, Darwin publie un premier récit de ses voyages. La légende fait de cette expédition à bord du « Beagle » l’élément essentiel dans la genèse de L’origine des espèces. En observant la faune très diversifiée des îles exotiques, Darwin aurait eu « l’intuition géniale » du processus de sélection naturelle. Nous reviendrons plus loin sur la crédibilité d’une telle thèse.
Le Beagle, avec lequel il partit en exploration autour du monde |
Mensonges et ruses de Darwin
Dans son autobiographie, Darwin résume ce qu’il prétend être sa méthode
scientifique :« J’ai travaillé selon les vrais principes de Bacon et, sans aucune théorie préconçue, j’ai collectionné une grande masse de faits ». [1]
En réalité, les carnets dans lesquels Darwin notait ses pensées au jour le jour, publiés à partir de 1960, révèlent une toute autre version de sa méthode scientifique.
Ses notes autobiographiques montrent en effet que, de 1837 à 1839, il élabore la théorie de l’évolution, ’non pas grâce à une analyse « objective » (si c’est possible) de faits, mais grâce à des réflexions profondes sur l’anthropologie, la théologie et la philosophie. Darwin savait lui-même qu’il est impossible d’observer sans théorie. Il ment délibérément sur sa méthode parce qu’il croit que tout scientifique « sérieux »doit présenter au public des faits et non des présupposés philosophiques. Voilà ce qu’il écrit au botaniste John Scott à ce sujet :
« Que la théorie guide vos observations ; mais en attendant que votre réputation soit bien établie, faites bien attention à ne pas publier trop de théorie car cela fait douter les gens de vos observations ». [2]
Les présupposés de Darwin sont, dès le début, matérialistes. Dans ses carnets C, M et N, il s’interroge sur l’origine du sens moral ou sur les causes finales et, dès cette année 1838, il réfute le caractère exceptionnel de l’homme. Il a déjà le projet d’expliquer l’origine et la nature de l’homme d’un point de vue purement matérialiste, en opposition avec le christianisme. En 1838, il écrit dans le carnet N : « l’esprit est fonction du corps ».
Il revient à plusieurs reprises dans ce même carnet sur le statut moral de l’homme pour dénoncer l’illusion de son libre-arbitre : Il n’avoue, au moins au début de sa vie, jamais ces conceptions pourtant déterminantes dans la genèse de sa théorie. Il ment pour les mêmes raisons sur ses convictions religieuses : dans L’origine des espèces, il concède un certain rôle au Créateur, alors que ses carnets montrent qu’il a, dès 1838, rejeté tout recours aux causes finales. En 1863, reconnaissant sa tricherie, il écrit à son ami Hooker :
« J’ai longuement regretté de m’être aplati devant l’opinion publique et de m’être servi du terme biblique de « création », en fait, je voulais parler d’une « apparition » due à un processus totalement inconnu. » [3]
Il appellera plus tard la sélection naturelle, « ma divinité », Darwin ment et dissimule pour être accepté par une société encore marquée par la puissance de l’Eglise et parce que la dissimulation est bien dans son caractère. Ses convictions sur la nature humaine, qu’il croit animale et dépourvue de libre arbitre, sont une base majeure de sa théorie de la sélection naturelle. Dans ses réflexions sur l’homme et les espèces vivantes, une lecture aura une influence déterminante dans l’élaboration de sa théorie. C’est celle de l’Essai sur la population, de Thomas Malthus. Il lit l’ouvrage en 1838, deux ans après son départ du « Beagle », dans son autobiographie, il commente cette lecture :
« Je lus, pour me distraire, l’Essai sur le principe de population de Thomas Malthus. Or, étant préparé pour apprécier la lutte pour l’existence partout présente par une longue pratique de l’observation des plantes et des animaux, je fus soudain frappé par le fait que, dans de telles circonstances, les variations favorables tendraient à être préservées et les variations nuisibles à être détruites. Le résultat de cette sélection serait la formation de nouvelles espèces. J’avais donc enfin une théorie sur laquelle travailler ». [4]
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Thomas Malthus, le vrai inspirateur de Darwin |
L’autre influence, moins connue encore mais déterminante, est celle d’Auguste Comte. Entre le 7 et le 12 août 1838, Darwin lit un compte-rendu de David Brewster sur le cours de « philosophie positive ». Dans une lettre à Lyell, datée du 13 septembre, il qualifie l’article de « capital ». Darwin s’accorde parfaitement avec Comte quand celui-ci écrit : « Toute science est radicalement et nécessairement opposée à toute théologie ».
Darwin retient à merveille la leçon de la loi des trois états successifs de l’humanité (théologique, métaphysique, puis positif). Il déplore que « la zoologie elle-même, aujourd’hui, soit purement théologique », et se présente comme celui qui la fera passer au stade positif. L’engouement de Darwin pour Comte témoigne bien de sa volonté non déclarée de débarrasser la science de tout recours à la métaphysique, de séparer par des cloisons étanches le physique et le métaphysique. Darwin est donc un personnage hypocrite, il veut faire passer son travail pour le résultat d’une recherche purement empiriste, alors qu’il est le reflet d’une recherche philosophique profonde. Il a su ménager son public et sa réputation avec un cynisme remarquable. Malthus avait déjà posé les jalons de la notion de sélection naturelle, Darwin la prolonge aux animaux et aux plantes. Mais quelle place réserve-t-i1 à l’homme dans ce processus ?
Darwin et l’espèce humaine
Pour répondre à cette question, il faut revenir sur la conception de l’homme
de Darwin. Ce n’est que dans La descendance de l’homme (1871) qu’il
s’exprime publiquement sur la question. Entre l’animal et l’homme, Darwin
n’oppose aucune différence de nature, mais seulement une différence de
degré.« Imaginons que les hommes soient morts, alors les singes font des hommes », [6] dit-il. Pour Darwin, « il n’existe aucune différence fondamentale entre l’homme et les mammifères les plus évolués, au point de vue des facultés intellectuelles » (dans La descendance de l’homme). Darwin nie le caractère exceptionnel de l’homme, son pouvoir créateur. Il reconnaît que, si le singe peut utiliser une pierre pour casser une noix, il serait incapable de « façonner une pierre pour en faire un outil », mais pour lui, « si considérable qu’elle soit, la différence entre l’esprit de l’homme et celui des animaux n’est certainement qu’une différence de degré et non d’espèce ». [7]
L’homme n’est qu’un singe perfectionné. Darwin est à l’opposé de la tradition judéo-chrétienne qui voit l’homme à l’image du créateur, donc capable de créer, de modifier son environnement et ses ressources. Toujours dans La descendance de l’homme, Darwin fait une analyse du sens moral qui serait digne de Kant :
« Le sens moral se résume dans ce mot court mais impérieux, le devoir, dont la signification est si élevée ».
D’ailleurs, Darwin cite Kant : « Devoir, pensée merveilleuse qui n’agit ni par insinuation, ni par flatterie, ni par la menace, mais en se contentant de se présenter à l’âme dans toute ton austère simplicité ; tu commandes ainsi le respect, sinon toujours l’obéissance ; devant toi les appétits restent muets, si rebelles qu’ils soient en secret. D’où tires-tu ton origine ? »
Selon cette conception, le Vrai, le Beau et le Bien ne sont pas connaissables. L’homme et l’animal sont guidés par la recherche de plaisirs liés à la satisfaction d’instincts. Et si l’homme et l’animal sont capables de résister à des instincts primaires (comme la faim), c’est pour satisfaire des instincts sociaux (favorables à la survie de l’espèce). Ils tirent un certain plaisir de l’approbation de leurs semblables. Pour Darwin, le sens moral est extérieur à l’homme, qui respecte un code de conduite favorable à la survie de l’espèce, parce qu’il veut se garder la sympathie de ses semblables.
« Fais aux hommes ce que tu voudrais qu’ils te fissent à toi-même ». Avec ce genre de critère, la définition du bien et du mal est forcément arbitraire et dépend, selon Darwin, de l’espèce.
« De même que divers animaux possèdent un certain sens du beau, bien qu’ils admirent des objets très différents, de même aussi ils pourraient avoir le sens du bien et du mal, et être conduits par ce sentiment à adopter des lignes de conduite très différentes. Pour prendre un cas extrême, si les hommes se reproduisaient dans des conditions identiques à celles des abeilles, il n’est pas douteux que nos femelles non mariées, de même que les abeilles ouvrières, considèreraient comme un devoir sacré de tuer leurs frères, et que les mères chercheraient à détruire leurs filles fécondes, sans que personne ne songeât à intervenir ». [8]
Le bien et le mal, pour l’homme, ne sont pas définis en soi, mais constituent un code de conduite optimum pour la survie de l’espèce, dépendant des lois de fonctionnement biologique de l’espèce « être humain ». Ainsi, puisque l’homme n’est pas capable de connaître la vérité, Darwin le dépouille de son libre-arbitre et de sa capacité d’intervenir sur son environnement. On comprend pourquoi les conceptions anti-judéo-chrétiennes de Malthus ont tant plu à Charles Darwin. L’homme, chez Malthus, est cet animal borné, incapable de créer des richesses dans un système fermé que son activité épuise. Ni Darwin, ni Malthus ne sauraient expliquer la réussite démographique et scientifique de l’espèce humaine, ni donc leur propre existence !
Dans le chapitre 5 de La descendance de l’homme, Darwin aborde la question de l’action de la sélection naturelle sur l’homme. Elle n’aurait qu’une faible influence sur les caractéristiques corporelles de l’homme, mais, par contre, elle aurait une influence considérable sur les facultés intellectuelles et morales que Darwin croit héréditaires. Darwin établit ainsi une hiérarchie entre les singes, les « sauvages »et les « Nations civilisées ». Chez les animaux et les sauvages, la sélection naturelle jouerait en augmentant le « développement des facultés intellectuelles », sélectionnant les plus vigoureux. Dans les nations « civilisées », la sélection naturelle ne s’applique plus aussi facilement, car les innovations technologiques permettent aux plus faibles de survivre.
C’est là qu’apparaît la « tentation eugéniste »de Darwin.
« Quant à nous, hommes civilisés, nous faisons, au contraire, des lois pour venir en aide aux indigents ; nos médecins déploient toute leur science pour protéger ’la vie de chacun. Les membres débiles des sociétés civilisées peuvent donc se reproduire indéfiniment. Or quiconque s’est occupé de la reproduction des animaux domestiques sait, à n’en pas douter, combien cette perpétuation des êtres débiles doit être nuisible à la race humaine. On est tout surpris de voir combien le manque de soins, ou même des soins mal dirigés, mènent rapidement à la dégénérescence d’une race domestique, en conséquence à l’homme lui-même, personne n’est assez ignorant et assez maladroit pour permettre aux animaux débiles de se reproduire. » [9]
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Darwin, plus « libéral », ne va pas si loin. Il note que, pour des raisons de noblesse morale, on ne peut pas éliminer ces êtres inférieurs : « Nous devons donc subir, sans nous plaindre, des effets incontestablement mauvais qui résultent de la persistance et de la propagation des êtres débiles. »
Ce qui signifie en substance, « les races inférieures ont le droit d’exister » !
Darwin préconise de les isoler le plus possible.
Darwin est loin d’être le pur savant, détaché de tout a priori et de toute idéologie. Sous le vernis libéral anti-esclavagiste, on découvre un racisme qui se veut « tolérant ». Darwin voit en l’Angleterre le phare des nations civilisées, et attribue une supériorité remarquable aux Anglais comme colonisateurs. La personnalité de Darwin montre à quel point il faut situer ses travaux et son succès dans le contexte socio-économique de l’époque.
Darwinisme et Angleterre victorienne
Si L’origine des espèces provoque d’abord un scandale, très vite les
ouvrages de Darwin emportent un très vif succès (la première édition de
L’origine est épuisée le premier jour de sa publication). Pourquoi, dans
une Angleterre victorienne pourtant si respectueuse de l’autorité de l’Eglise,
un tel engouement pour la théorie de l’évolution et de la sélection
naturelle ?En ce milieu du XIXème siècle, l’Angleterre est une « puissance industrielle »dominante. Lors de la première Exposition Universelle à Londres, en 1851, sur 14 000 exposants, on ne compte pas moins de 7 500 industriels anglais ; l’Angleterre fournit 50% des cotonnades et 60% de l’acier et du charbon consommés dans le monde. Mais s’agit-il vraiment d’une puissance économique, et sur quels principes fonctionne-t-elle ?
En fait, à l’intérieur, le succès est bâti sur un système de quasi-esclavage. Les campagnes se vident, les paysans quittent le monde rural (on passe d’une agglomération de 100 000 habitants au début du XIXème à 33 à la veille du XXème siècle), non pour exercer des emplois qualifiés, mais pour travailler dans les « fabriques »où le travail est mal payé et les conditions souvent très dures. La journée de travail d’un ouvrier commence à 6 heures du matin et se termine à 6 heures du soir, la plupart des fabriques exigent de leurs ouvriers 64 heures de travail hebdomadaires et les ouvriers, sans protection sociale, ne disposent d’aucun recours. En 1821, un travailleur pouvait gagner 16 shillings par semaine ; il n’en touchera plus que 6 en 1831. L’espérance de vie dans ce milieu social est inférieure à 40 ans, les enfants commençant à travailler à l’usine, de jour comme de nuit, dès l’âge de 7 ans, ou même de 4 ans parfois ! La situation en France est à peine plus brillante, seul le travail des enfants étant un peu réglementé. C’est l’Allemagne qui prendra les premières mesures sociales, sans que son industrie n’en souffre, bien au contraire. En réalité, la prétendue puissance industrielle de l’Angleterre victorienne repose sur une pauvreté immense des travailleurs. Dans ces conditions, peut-on parler d’une nation développée ?
L’autre « secret »du développement « miraculeux » de l’industrie anglaise réside évidemment dans son vaste empire colonial, qui lui fournit matières premières et main d’œuvre à très bas prix. Lorsque paraît L’origine des espèces, la seconde guerre de l’opium menée par les Britanniques contre la Chine vient de se terminer et le traité de Taijin livre la Chine à l’Angleterre, qui y contrôle un florissant trafic de drogue. En 1839, à l’empereur de Chine qui demandait à la couronne d’Angleterre de cesser d’inonder d’opium son empire, la Chambre des Communes répond ;
« Il n’est pas opportun d’abandonner une source de revenus aussi importante que le monopole de la Compagnie des Indes dans le domaine de l’opium. »
La réussite économique de l’Angleterre victorienne n’est donc qu’une façade dans la mesure où elle n’est basée sur aucune innovation technologique majeure, ni développement réel pour sa population et celles de ses colonies ; au contraire, seuls quelques intérêts financiers s’enrichissent du pillage des ressources naturelles et humaines. Dans ce contexte économique et historique qui oppose alors le système des empires britannique et français au « système américain »naissant, la théorie darwinienne arrive à point nommé pour légitimer le système économique d’Adam Smith. Le système britannique y est présenté comme synonyme de réussite, et le seul réalisable. La théorie « scientifique »de Darwin est là pour lui donner une image plus crédible pour cette époque si scientiste.
Adam Smith |
Galton n’a pas le monopole de ce type de théorie : le français Ernest Renan écrit en 1871, pour justifier la colonisation :
« La colonisation en grand est une nécessité politique tout à fait de premier ordre ... La conquête d’un pays de race inférieure par une race supérieure qui s’y établit n’a rien de choquant... Autant les conquêtes entre races égales doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est de l’ordre providentielle de l’humanité. »
Francis Galton |
Le darwinisme entre en réalité parfaitement dans le « moule » de la philosophie de l’oligarchie libérale de cette fin du XIXème siècle : hostilité envers l’idée d’individu et de progrès humain, mépris du caractère sacré de la vie ... Il est la justification et la base d’un système économique fondé sur le pillage des ressources considérées comme limitées, et sur l’exploitation de l’homme vu comme marchandise.
De Darwin à l’eugénisme
La théorie de Darwin n’a pas été utilisée que par les libéraux, elle fut
aussi étudiée par les penseurs marxistes. C’est Engels qui, le premier, découvre
Darwin. Dans une lettre à Marx, datée du 12 décembre 1859, il qualifie l’ouvrage
de Darwin de « tout à fait sensationnel ! ». Engels y apprécie la
tentative de montrer « qu’il y a un développement historique dans la
nature » [10].
De plus, le matérialisme profond de Darwin ne peut que plaire aux pères du
marxisme, et la vision transformiste de la nature est en parfaite harmonie avec
le « transformisme social »marxiste. L’émergence, à travers la révolution, du
socialisme à partir de la destruction du capitalisme est mise en parallèle avec
l’apparition d’une espèce supérieure à partir d’une espèce inférieure ou, au
mieux, un archétype. Comme Darwin, Marx voit dans la lutte et la hiérarchisation
le moteur du changement. Darwin situe cette lutte au niveau des individus plus
ou moins « aptes » (biologiquement). Marx la place entre classes différentes par
leur niveau social, mais il s’agit malgré tout du même genre d’idéologie,
l’explication de l’évolution du monde et de l’histoire par le rapport de force,
l’écrasement du concurrent, et non par le co-développement et l’enrichissement
mutuel des individus.Karl Marx |
En cette fin du XIXème siècle, la théorie darwinienne est largement mise en avant, « médiatisée »parce qu’elle arrange tout le monde. Les pères du marxisme ont compris comment exploiter son matérialisme, l’oligarchie du système ultralibéral avait là une justification « scientifique »du système économique d’exclusion alors établi. Mais certains cherchèrent à aller plus loin encore, peu de temps après la parution de L’origine des espèces, quelques-uns virent dans la théorie de Darwin les bases d’un véritable projet de société basée sur la limitation des naissances, en particulier des « moins aptes », et sur l’amélioration de la « race supérieure ». Appliquant à la société humaine la théorie de la sélection naturelle, la démarche consiste à mettre en place des mesures faisant en sorte de laisser jouer, voire de renforcer (sélection artificielle) le processus de sélection du plus apte.
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Outre la conception raciste et biologiste de l’homme, deux autres principes servent de base à l’eugénisme. Le premier est ce qu’on pourrait appeler le principe malthusien. Laissons Darwin lui-même l’exprimer : « Les membres insouciants, dégradés et souvent vicieux de la société tendent à s’accroître dans une proportion plus rapide que ceux qui sont plus rapides et ordinairement plus sages » (dans La descendance de l’homme). En d’autres termes, les « moins aptes »se multiplient très dangereusement, beaucoup plus vite que les élites.
Vacher de la Pouge et Gobineau
Le second principe est l’opposition à toute forme de métissage considéré
comme la base de la « dégénérescence »des races supérieures. Pour parer à cette
menace, Galton rêve d’un véritable programme politique de protection des races
supérieures, il appelle à la création d’une « eugénique nationale »basée sur un
système de contrôle des mariages et de stérilisation des « débiles »et des
« criminels », organisé par les institutions politiques. Darwin avait déjà cette
idée en tête. Il remarque dans La descendance de l’homme : « l’Homme
étudie avec la plus scrupuleuse attention le caractère et la généalogie de ses
chevaux, de son bétail, de ses chiens, avant de les accoupler, précaution qu’il
prend rarement ou jamais quand il s’agit de son propre mariage... La sélection
lui permettrait cependant de faire quelque chose de favorable, non seulement
pour la condition physique de ses enfants, mais pour les qualités
intellectuelles et morales. Les deux sexes devraient s’interdire le mariage
lorsqu’ils se trouvent dans un état marqué d’infériorité de corps et d’esprit...
Tous ceux qui ne peuvent éviter un état d’abjecte pauvreté pour leurs enfants
devraient éviter de se marier, car la pauvreté est non seulement un grand mal,
mais tend à s’accroître en entraînant l’insouciance dans le mariage. En outre,
comme l’a fait remarquer M. Galton, si les gens prudents évitent le mariage
pendant que les insouciants se marient, les membres inférieurs de la société
tendent à supplanter les membres supérieurs ». Voilà qui rappelle étrangement les discours officiels et actuels sur la démographie (l’idée de la dernière phrase n’étant pas publiquement exprimée, mais bien souvent sous-entendue) : dans tous les cas, l’homme n’est qu’un fardeau et la pauvreté une « abjecte »fatalité ! En 1869, dans un de ses écrits (Heredit aryenius), Galton décrit une société « idéale » dans laquelle les jeunes filles auraient une morphologie « promettant la naissance d’une noble race » et les hommes seraient formés par « l’athlétisme et les exercices militaires » [12]. Pour parvenir à cette société spartiate, Galton souhaite la destruction du « monopole de la religion »et son remplacement par une sorte de « clergé scientifique » [13]. Il identifie dans les valeurs de l’Eglise (en particulier sa conception noble de chaque être humain) le dernier ennemi à abattre et veut faire de l’eugénisme « un dogme religieux pour l’humanité ».
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Cette période de l’avant-guerre est une époque charnière, l’Europe oscille entre la possibilité d’un développement industriel et scientifique et le jeu dangereux des empires (britannique, russe et austro-hongrois) qui veulent préserver leur pouvoir et qui conduiront à la guerre. Pour toute l’oligarchie de l’époque, les développements sociaux et pseudo-scientifiques de la théorie darwinienne ne peuvent être qu’une merveilleuse carte à jouer. Ainsi la doctrine eugéniste, née en Angleterre, va très vite essaimer un peu partout dans le monde, et le « racisme scientifique », atout de la logique impériale, devient vite un sujet de débat public et courant.
Vacher de La Pouge |
Alexis Carrel, prix Nobel de physiologie en 1912, publie, en 1935, L’homme, cet inconnu. Il est alors chirurgien de renommée mondiale. Dans cet ouvrage, vendu à des centaines de milliers d’exemplaires, il s’inquiète de l’affaiblissement de la sélection naturelle sur l’espèce humaine et appelle, lui aussi, à la constitution d’ « une aristocratie biologique héréditaire ». Conseillant le conditionnement des criminels les moins dangereux par le fouet ou quelque autre moyen plus scientifique, il déclare, concernant les criminels les plus dangereux, « qu’un établissement euthanasique pourvu de gaz appropriés, « permettrait »d’en disposer de façon humaine et économique ». Carrel, qui passa une grande partie de sa carrière aux Etats-Unis (de 1905 à 1941), rentre en France le 16 avril 1941. Huit mois plus tard il est reçu par Pétain ; une Fondation pour l’étude des problèmes humains est fondée, dont Carrel est le régent. L’objectif est d’ « étudier des mesures propres à sauvegarder, à améliorer et développer la population française dans toutes ses activités ».
Alexis Carrel appelait à la constitution d’"une aristocratie biologique héréditaire" |
L’eugénisme aux Etats-Unis
Entre les années 1900 et 1930, un très fort courant eugéniste (principalement
introduit par le généticien Charles Davenport) va s’installer et obtenir la mise
en application partielle des idées de Galton aux Etats-Unis.L’Amérique du début du XXème siècle est un terrain très favorable à cette idéologie : les grandes familles WASP (White Anglo-Saxons Protestants) américaines y voient une justification soi-disant scientifique de leur pouvoir politique et économique, et songent à utiliser les pratiques d’exclusion et de sélection de l’eugénisme pour écarter tous ceux avec lesquels elles ne veulent pas partager le pouvoir (pauvres, nouveaux immigrants juifs ou italiens) qui arrivent en masse. Le lobby esclavagiste ne peut que se réjouir des développements de la théorie de Darwin. Pour d’autres (réformateurs, politiques ...), l’eugénisme est la solution de facilité à tous les problèmes sociaux qui vont alors en s’aggravant (chômage, pauvreté ...) et que les réformes sociales sont impuissantes à résoudre faute de grands desseins. Cette prétendue inefficacité des réformes sociales prouverait donc que les pauvres sont de par leur naissance irrémédiablement condamnés à cette condition, la seule « politique »à adopter à leur égard étant de limiter leur « prolifération ». L’eugénisme, présenté comme théorie scientifique, donc respectable, devient rapidement le credo de bon nombre d’universitaires, de scientifiques et de dirigeants politiques. Pour tous ceux là, tous les maux de l’Amérique proviennent de la multiplication excessive des êtres débiles et son salut ne dépend que de sa détermination à améliorer la qualité de sa population.
Théodore Roosevelt |
Notons au passage que l’actuel président des Etats-Unis, George Bush, éprouve une admiration profonde pour T.Roosevelt !
La redécouverte des lois de l’hérédité de Gregor Mendel confirme alors généticiens et eugénistes dans l’idée que les caractéristiques des êtres vivants sont déterminées par les gènes seuls, agissant indépendamment. Le généticien John Hopkins déclare : « Les maux dont souffre le monde et le remède à ces maux résident fondamentalement dans les constitutions diverses des êtres humains. Les lois, les coutumes, l’éducation et le cadre matériel sont des créations de l’homme et reflètent sa nature essentielle. Tenter de corriger ces choses, ce n’est que soigner des symptômes spécifiques. Pour aller à la racine des problèmes, il faut donner naissance à une catégorie d’hommes meilleurs, une catégorie qui ne comporte pas les genres inférieurs. Lorsqu’une meilleure catégorie se sera chargée des affaires du monde, les lois, les coutumes, l’éducation, les conditions matérielles prendront soin d’elles-mêmes toutes seules » [16].
Dans cette conception, l’homme n’est pas perfectible, il est défini par une « essence »biologique et génétique, qui n’est qu’un ensemble de caractéristiques fixes définitives, soumises aux lois de l’hérédité. Les lois ne sont que des reflets de la constitution biologique des êtres humains. Dans ces conditions, l’action politique véritable n’a aucune existence, le « projet de société » est limité à la domination des « plus aptes » (désignés de façon arbitraire) et à l’élimination des faibles (les pauvres, les sans-pouvoirs).
Pendant cette période de l’histoire des Etats-Unis, ces scientifiques « extrémistes »tiennent le haut du pavé, essentiellement parce qu’ils bénéficient du financement et du soutien des familles « sang-bleu »et du président T. Roosevelt, eugéniste et malthusien fanatique. Ainsi, en 1910, Mme Harriman, femme d’un célèbre industriel, convainc son mari d’acheter un terrain à Cold Springs Harbour (Etat de New-York). L’Eugenic Record Office (bureau d’enregistrement de l’Eugénisme) s’y installe sous la direction de Davenport et Harry Laughlin. En 1928, le lobby eugéniste contrôle les trois quarts des universités et grandes écoles américaines et y enseigne l’eugénisme. Le professeur Hooton, de Harvard, prêche que : « La solution aux problèmes de criminalité, c’est l’élimination de tous ceux qui ne sont pas aptes physiquement, mentalement ou moralement, ou bien, si cela parait trop sévère, leur isolement dans un milieu aseptique » [17]. Le président de l’université de Stanford résume assez bien l’état d’esprit de l’époque : « le sang du pays détermine son histoire… l’histoire du pays détermine son sang » [18].
La première mise en application des idées eugénistes est la politique de stérilisation forcée des criminels, des malades mentaux et asociaux... La première loi est votée en 1907, dans l’Etat de l’Indiana (de 1899 à 1912, 236 vasectomies auraient été pratiquées dans cet Etat.) D’autres Etats suivent ensuite, notamment la Virginie. En 1927, ces lois sont soumises à la Constitution, et la Cour Suprême décide qu’elles relèvent de la seule autorité des Etats. En 1931, trente Etats ont voté des lois sur la stérilisation. De 1899 à 1935, entre 20 000 et 70 000 personnes (selon les sources) auraient été stérilisées de force dans l’ensemble des Etats-Unis. Parmi les « asociaux »touchés par la répression figurent aussi des chômeurs et des Noirs. Les statistiques des hôpitaux psychiatriques dans lesquels ont été effectuées les stérilisations montrent que la majorité des victimes sont des pauvres, et plus de la moitié des Noirs. En Virginie, toute personne touchant des allocations de chômage est alors susceptible de subir une stérilisation forcée, des battues sont organisées pour retrouver les chômeurs fuyant cette menace. Plusieurs Etats interdisent le mariage des « alcooliques » et des personnes porteuses de maladies héréditaires (comme l’hémophilie). Les deux principaux instruments de propagande sont l’utilisation de pseudo-arbres généalogiques et le test de Binet, premier test de Quotient intellectuel (Q.I.). Lauglin, dirigeant du bureau d’eugénisme, estime que 10%, de la population américaine est constituée de « variétés biologiques socialement inaptes » et appelle au salut de l’Amérique par la préservation de la qualité de son sang.
Le second succès du lobby eugéniste composé de certaines grandes familles et de « scientifiques marionnettes », est la loi sur l’immigration de 1924 (Immigration Restriction Act). Celle-ci met en place un filtrage racial soigneux fondé sur des critères eugénistes, des nouveaux immigrants. Dans cette période de crise économique et de mécontentement, le discours anti-immigration est bien reçu et est aussi un moyen d’introduire les thèses eugénistes dans tout le pays. Ainsi, l’économiste Irving Fischer écrit à Davenport, en 1912 : « L’eugénisme n’aura jamais de force véritable tant qu’il n’aura pas commencé, comme le voudrait Galton, à être un mouvement populaire comportant une certaine ferveur religieuse… et comme il existe déjà un certain courant en faveur de la réduction de l’immigration… c’est une chance en or qui se présente pour que des gens adhérent à l’eugénisme ». [19] [20]
Revenons à l’Amérique de l’avant-guerre. En 1907, une commission du Congrès a établi que « les immigrés des régions méditerranéennes étaient biologiquement inférieurs aux autres immigrants » [21]. Les Slaves, les Juifs, les Noirs et les Indiens sont rejetés aussi ; seuls les Nordiques sont considérés comme de « bons immigrés ». La première loi limitant l’afflux des Européens du Sud est votée en 1921. Harry Laughlin, du bureau d’enregistrement de l’eugénisme (financé par la famille Harriman), est officiellement nommé conseiller en eugénisme du « comité d’immigration et de naturalisation », devant lequel il déclare sans y recevoir de contradiction : « l’immigration récente présente, dans son ensemble, un pourcentage de capacités innées socialement inadéquates plus élevés que dans les groupes plus anciens » [22]. Le secrétaire d’Etat au Travail de l’époque, James Davis, résume assez bien l’état d’esprit dans lequel l’Immigration Act est voté (1924) par le Congrès avec une très faible opposition : « L’Amérique a toujours été fière d’avoir à sa base une population issue de la race dite nordique… Il nous faut rejeter de nos rivages tous les Individus de toutes races, physiquement, mentalement, moralement et spirituellement indésirables, et qui constituent une menace pour notre civilisation [23] »
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En 1933, Hitler décrète la loi sur l’hygiène de l’hérédité, première étape d’une politique de triage d’une ampleur jamais atteinte, mais dont les bases avaient été jetées par toutes les oligarchies du monde et par les théoriciens du racisme. Tout au long des années trente, la société américaine de génétique tiendra ses rencontres annuelles. De nombreux débats ont lieu pour savoir s’il faut condamner la politique eugéniste du troisième Reich, mais le nombre de voix ne sera jamais suffisant pour approuver cette condamnation. Harry Laughlin, conseiller en eugénisme du comité d’immigration, reçoit en 1936, le titre de docteur honoris causa de l’université d’Heidelberg pour sa contribution à l’eugénisme.
L’Allemagne : Hitler et les Nazis
L’Allemagne nazie fera des principes de Malthus et de ses successeurs un
véritable système économique et politique. L’axiome de départ est, encore une
fois, une société basée sur la hiérarchisation de « races humaines »déterminées
par des caractéristiques biologiques, dans un système fermé aux ressources
limitées. Là encore, on retrouve, comme chez Galton, la peur que les inaptes se
multiplient plus vite que les aptes. L’aryen y exerce sa supériorité par une
politique de triage (écartement des Juifs de la fonction publique et des
professions libérales en 1933), puis par une économie fondée sur l’exploitation
génocidaire de la force de travail et des richesses des dites « races
inférieures » (camp de travail équivaut à une main d’œuvre non payée et
sous-alimentée), et ce jusqu’à leur élimination physique (solution finale). Le
système, dans sa folie criminelle, a sa propre logique. Des documents issus du
procès de Nuremberg prouvent que tout était étudié pour tirer le maximum de
matières premières et de travail du génocide de ces inconnus. Même la graisse et
les cheveux des corps des déportés étaient utilisés comme matières premières. La
lutte pour la survie du plus apte, chère à Darwin et Spencer, s’incarne dans un
système économique fondé sur la domination d’une caste grâce à l’exploitation
(jusqu’aux limites mêmes de la destruction physique) d’une autre partie de la
population. Alors, l’homme, rejetant sa nature, crée un système qui dévore sa
propre espèce.Six millions d’innocents y laisseront la vie... Sans qu’hélas l’après-guerre ne voie pour autant la disparition de cette idéologie de l’exclusion et de la haine de l’homme.
L’après-guerre
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, alors que le monde découvre les
horreurs du régime nazi, le discours ouvertement eugéniste et ouvertement
raciste ne peut que s’effacer. Pour autant, la conception « biologiste »de
l’homme, base de toute la pensée darwinienne et malthusienne, ne disparaît pas.
Le débat se déplace de l’aspect « qualité » de population à l’aspect
« quantité »de population, même si les arrière-pensées sont souvent les mêmes et
la philosophie sous-jacente semblable. L’après-guerre voit se renforcer cette
conception pessimiste d’un homme dénué de pouvoir créateur, prisonnier d’un
système fermé, donc entropique, aux ressources définies par avance, en-dehors de
lui, et qu’il est condamné à épuiser tôt ou tard. L’absence de renaissance
culturelle popularise, encore plus qu’avant guerre, cette conception du
monde.La seconde modification par rapport à la période de l’avant-guerre est la montée en puissance des sciences dites humaines (sociologie, psychologie...). L’étude des comportements humains et des performances intellectuelles se développe dans la matrice culturelle de la pensée darwinienne, pour devenir un instrument de discrimination et de contrôle des populations.
L’héritage du courant de pensée eugéniste du XIXème siècle et du début du XXème est, on le verra, la mise en place d’un ordre politique mondial fondé sur des conceptions malthusiennes.
La sociobiologie
Un exemple montre très bien comment les sciences humaines sont nées du
courant darwinien : c’est celui, caricatural, de la sociobiologie, créée par le
chercheur américain Edward O. Wilson. En 1975, Wilson publie son principal
ouvrage, Sociobiology : The New Synthesis. Spécialiste des comportements
des insectes dits « sociaux » (fourmis, termites...), sa démarche est très
simple : étudier les comportements des sociétés humaines et animales à la
lumière de la théorie néo-darwinienne de l’évolution.Deux grands principes se dégagent de la thèse de Wilson. Premièrement, il ne fait aucune distinction fondamentale entre une « société »animale (par exemple une termitière) et la société humaine. Il part donc, comme en psychologie, de l’étude des comportements animaux pour les extrapoler à l’homme. Deuxièmement, pour Wilson, les comportements sociaux animaux ou humains ont été façonnés par la sélection naturelle au cours de l’évolution. Les rapports plus ou moins lâches entre individus de même espèce sont déterminés par la compétition ou la coopération pour l’appropriation des ressources (bien sûr, limitées) de l’environnement - en quelque sorte, la socialisation de la lutte pour la survie. Comme tout ce qui est régi par la sélection naturelle, les comportements sociaux sont innés et génétiquement déterminés. Leur but et effet sont d’augmenter le nombre de descendants de l’individu (réduit à son seul génotype) au sein de la population. Par exemple, l’altruisme envers ses proches et la tendance d’un individu à vouloir former une famille serait pour lui un moyen de maximaliser sa chance de transmettre les gènes qui lui sont spécifiques à la population à venir ! Wilson identifie un certain nombre de comportements sociaux « génétiquement déterminés » : dominance, tendance à former une famille nucléaire, altruisme vis-à-vis de ses proches impliquant haine des autres, tribalisme et territorialité impliquant guerre et xénophobie. II réduit donc les rapports entre êtres humains à une sorte de compétition entre différents patrimoines génétiques. Pour lui, tout individu se définit par rapport à sa tribu, en tant que groupe ayant un certain patrimoine génétique à préserver et à propager dans un environnement aux ressources limitées. Wilson n’apporte rien de nouveau (hormis un amas de données pseudo-scientifiques), par rapport au darwinisme social de Galton ou de Darwin. Tout caricatural qu’il puisse paraître, Wilson est très représentatif d’une tendance des sciences humaines à considérer l’individu comme une entité fixe, déterminée dès sa naissance, non perfectible et dont on peut prévoir et donc contrôler le comportement essentiellement déterminé par les pressions de l’environnement.
L’utilisation des tests de Q.I. (quotient intellectuel) reflète parfois, en psychologie, exactement la même tendance et sera, on le verra, un instrument politique intéressant pour tenter la mise en place d’un eugénisme « soft ».
Les tests d’intelligence
Le premier test d’intelligence est mis au point en 1904 par le Français
Alfred Binet. A l’origine, il s’agit seulement d’une série d’exercices pour
enfants de différents âges, permettant de détecter les élèves un peu faibles
pour leur apporter un soutien pédagogique supplémentaire. La comparaison entre
âge mental et âge réel de l’enfant ne se fait pas d’une manière formalisée ; il
ne reçoit pas une « note ». Il s’agit plus de juger le niveau de précocité ou de
retard d’un enfant dans son développement, par rapport à une moyenne.Les pays anglophones vont profondément pervertir le test de Binet. En effet, il est appliqué aussi aux adultes, et le rapport entre âge mental et âge réel est formalisé sous la forme d’un rapport mathématique (quotient d’intelligence égale âge mental sur âge réel). Le Q.I. devient, sous cette forme, la mesure d’une aptitude fixée héréditairement, donc non perfectible, variant entre individus et, selon certains, entre races et classes sociales.
Cyril Burt, principal introducteur des tests d’intelligence en Angleterre, est typique de cette attitude. Jusqu’à sa mort en 1971, ce psychologue décoré par la reine d’Angleterre et par l’American Psychological Association, soutiendra que le test de Q.I. mesure l’intelligence, que celle-ci est fixée définitivement à la naissance et héréditaire : « Si l’intelligence est innée, le degré d’intelligence est fixé pour la vie. Le contenant limite forcément le contenu. Il est impossible qu’un pot d’une pinte puisse contenir plus d’une pinte de lait, il est de même impossible que le niveau d’instruction d’un enfant puisse dépasser ce qui lui est permis par sa capacité à s’instruire » [25]. Cyril Burt prétend avoir démontré l’héritabilité du Q.I. par l’étude de couples de vrais jumeaux séparés dès leur naissance. Selon lui, ils ont des Q.I. très voisins, bien qu’ayant vécu dans des conditions très différentes, car ils ont le même patrimoine génétique. On découvrira par la suite que ces travaux, effectués entre 1943 et 1966, étaient totalement frauduleux. Les résultats des tests de Q.I. effectués sur les jumeaux étaient purement imaginaires.
Les travaux de Cyril Burt sur l’héréditabilité de l’intelligence repose sur trois fraudes simultanées : la première est de prétendre que l’intelligence est ce qui est mesuré par les tests (nécessairement fixes et assez arbitraires) ; la deuxième est de voir dans l’intelligence une grandeur mesurable, fixe et génétiquement déterminée, la troisième est l’invention pure et simple des résultats de l’expérience ! Lorsque les mensonges de Burt sont révélés, l’affaire fait scandale dans le milieu de la psychologie, mais l’approche « héréditariste »et fixiste de la psychologie humaine ne disparaît pas pour autant. En effet, cette conception de l’intelligence humaine séduit car elle justifie, sous une couverture pseudo-scientifique, une politique de triage au niveau de l’éducation et du droit au développement. En Angleterre, les travaux de Burt sont à la base d’un examen appelé « onze-plus », pièce maîtresse du système de sélection scolaire de la période d’après-guerre. Le « onze-plus », pratiqué sur des enfants de dix-onze ans, est une série de tests d’évaluation de l’intelligence générale. Selon les résultats, les élèves sont orientés vers les lycées et suivront des études secondaires, ou bien, pour les plus faibles, vers des collèges techniques ou d’enseignement général.
Aux Etats-Unis aussi, les travaux de Cyril Burt sur les Q.I. sont repris, avec en plus un aspect plus ouvertement raciste. Le psychologue américain Arthur Jensen est un très fidèle disciple de Burt. Il fait référence à ses travaux comme la « tentative la plus convaincante d’estimation de l’héritabilité du Q.I » [26]. Même après la découverte de la fraude de Cyril Burt, A. Jensen ne reviendra jamais sur son accord fondamental avec le psychologue anglais. Jensen compare les résultats aux tests de Q.I. entre enfants blancs et enfants noirs. Dans son livre, Educability and Group Differences (Educabilité et différences entre groupes), Jensen conclut que les différences observées, soi-disant favorables aux Blancs, sont significatives et trop grandes pour être expliquées par des facteurs « d’environnement »et qu’elles proviennent de différences génétiques.
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W Shockley |
L’administration américaine, à partir de la seconde moitié des années 60, ne peut qu’accueillir à bras ouverts ce genre d’extrémistes. Les arguments de Jensen et Shockley justifient la réduction des dépenses pour l’éducation et, surtout, ils correspondent parfaitement à la philosophie malthusienne de « l’élite »de l’époque. Le député George Bush, aujourd’hui Président des Etats-Unis, commente ainsi les déclarations de Shockley : « Le Dr Shockley a déclaré qu’il estime que l’Académie des Sciences a l’obligation intellectuelle de faire un exposé clair et pertinent des faits relatifs aux aspects héréditaires de la qualité humaine. En outre, il a maintenu que nos programmes bien intentionnés d’assistance sociale pourraient produire sans le vouloir une régression de la qualité de population américaine ». [28]
A l’intérieur, les Noirs et les pauvres sont considérés comme les fauteurs de troubles. La génétique explique leur révolte par un dysfonctionnement d’ « organe du comportement ». Dans les prisons, certains détenus sont traités pour leur « déviance sociale »par des substances chimiques ou par des méthodes de conditionnement tirées de la psychologie animale. La montée des thèses du déterminisme biologique, dans les années 60-70, est en partie la réponse au militantisme noir : puisque les Noirs sont prétendument génétiquement moins intelligents que les Blancs, les programmes sociaux à leur intention sont inutiles et ils n’ont pas à réclamer des salaires et des statuts égaux à ceux des Blancs ! Surtout, les pauvres sont des bouches à nourrir dans un univers aux ressources présentées comme limitées et, par conséquent, le seul programme d’éducation qui leur est réservé est le planning familial !
A l’extérieur, l’obsession est la même : stopper la croissance démographique des pays du Sud, c’est-à-dire des populations pauvres. Les thèses de Malthus deviennent, à partir de cette époque, le passage obligé de tout discours sur les rapports Nord-Sud.
Le malthusianisme à l’échelle mondiale
A partir du milieu des années 60, l’élite américaine prend le grand virage
vers une politique malthusienne au niveau mondial. L’activité de Bush à cette
époque est significative de ce changement dans la politique extérieure
américaine. En 1967, il parraine un projet de législation pour la création d’un
planning familial et propose que les programmes d’aides à l’étranger soient
réformés afin de mettre l’accent principal sur le contrôle démographique. En
clair, il s’agit de conditionner l’aide américaine à la limitation des
naissances.La même année, Paul et William Paddock présentent cette politique de « triage »des pays à aider ou à abandonner en termes clairs (Le temps des famines : l’Amérique et la crise alimentaire mondiale) : « L’explosion démographique dans les nations connaissant la famine, combinée à leur agriculture stagnante, fait que, pour beaucoup d’entre elles, la famine est inévitable ( ... ) Les populations atteintes se verront dans l’impossibilité de payer toutes les importations de nourriture dont elles ont besoin. Par conséquent, les affamés de ces régions ne pourront être soulagés que par la charité des autres nations (...). Les Etats-Unis seront l’unique espoir des nations connaissant la famine. Cependant, les Etats-Unis, même s’ils cultivent toutes leurs terres, même s’ils ouvraient toutes grandes les vannes de la charité, n’auraient pas assez de céréales et autres denrées alimentaires pour garder en vie tous les affamés. Par conséquent, les Etats-Unis devront décider à quel pays ils doivent envoyer de la nourriture, et à quels pays ils n’en enverront pas (...) Sur le champ de bataille de la guerre à venir, la pratique du triage sera vital car les choix devront être faits, à savoir quels pays blessés devront recevoir de la nourriture » [29]. Bien entendu, les pays qui recevront l’aide en question seront ceux qui se soumettent à une sévère politique de réduction des naissances...
William Paddock est alors président du Fonds pour l’environnement et travaille au département d’Etat. En 1972, est publié Halte à la croissance, sous les auspices du Club de Rome. Là, un cercle d’intellectuels, souvent issus de l’establishment américain et attachés aux services de prévision économique de l’OTAN, préconise, sous prétexte d’épuisement imminent des ressources naturelles, « l’abandon de l’éthique de la croissance »et encourage « la conservation des ressources et le renoncement ». Ce livre, édité par Aurelio Peccei, dirigeant du Club de Rome, préconise une espèce humaine composée de trois milliards d’êtres humains au maximum. Peccei qualifie la prolifération humaine de « métastase cancéreuse ». Bien sûr, et cela n’est pas dit publiquement, c’est la prolifération des pauvres et des populations des pays du tiers monde qu’il faut empêcher, puisqu’ils ne sont soi-disant pas capables de subvenir à leurs besoins, et non celle des nantis qui ont fait la preuve de leur « aptitude ». Cela est bien entendu présenté comme un acte de profonde charité !
Henry Kissinger et Brent Scowcroft
Ce genre de thèses ne sont pas des propositions isolées, c’est la pensée même
de l’administration américaine des années 70 à aujourd’hui. En effet, deux ans
plus tard (1974), le Conseil national de sécurité des Etats-Unis publie un
rapport confidentiel, le National Security Study Memorandum 200 (NSSM
200), sur les « implications de la croissance démographique mondiale vis-à-vis
de la sécurité des Etats-Unis et de leurs intérêts outre-mer ». Rappelons que le
Conseil national de sécurité est chargé de planifier et d’appliquer la politique
étrangère américaine. La rédaction du NSSM 200 était supervisée par Henry
Kissinger et Brent Scowcroft, actuel conseiller national à la sécurité auprès de
George Bush : Le NSSM 200 présente la croissance démographique des pays du Sud
comme une menace pour l’approvisionnement américain en matières premières (qui
viennent souvent du pays du tiers monde) et pour la sécurité. Le rapport prévoit
que la demande accrue des pays du Sud sur le marché des matières premières
« provoquera de graves problèmes qui pourraient empiéter sur les Etats-Unis,
à la fois parce qu’elle créera le besoin d’un plus grand soutien financier et
parce que les pays en voie de développement chercheront à améliorer les termes
de l’échange en imposant des prix plus élevés pour leurs exportations ». Les
relations entre les Etats-Unis et les pays du Sud se résument à la lutte entre
espèces ou groupes pour J’appropriation des ressources, lutte chère aujourd’hui
à la sociobiologie de Wilson et à l’écologisme, hier aux théoriciens de
« l’espace vital ».Henry Kissinger |
Le contrôle des naissances « démocratique »
Les pressions en faveur d’un contrôle des naissances ne devant pas être
« perçues comme une politique des pays développés visant à saper le tiers
monde ou pour garder les ressources au seul usage des pays riche », la
politique de limitation des naissances est présentée par les Etats-Unis comme
une amélioration future du’ niveau de vie des pays en voie de développement.
Pour les nations réticentes, le NSSM 200 envisage l’utilisation de l’arme
alimentaire, telle que Paddock l’avait décrite : « Faudra-il faire un choix
parmi ceux que l’on pourra raisonnablement aider et, si c’est le cas, le
contrôle des naissances devra-t-il être l’un des critères pour recevoir notre
aide ? »Les orientations de NSSM 200 sont appliquées comme politique officielle à partir de 1975, sous le Président Ford, notamment par George Bush, alors directeur de la CIA. Que dire de plus sur ce document, sinon qu’il définit une vision totalement sociobiologiste des rapports Nord-Sud ? Jusqu’à aujourd’hui, la préoccupation majeure des membres de l’establishment américain, qui conçoivent en réalité les autres et eux-mêmes comme autant d’animaux plus ou moins pensants, est l’appropriation des ressources par l’élimination des populations concurrentes et par le maintien d’une relation de « domination politique ». La capacité de l’homme à définir de nouvelles ressources par la maîtrise de nouvelles technologies étant oubliée, aucune notion de développement économique mutuel n’est possible et les Etats-Unis exercent donc leur « leadership », non plus comme possibilité de développer l’ensemble des pays \du monde, mais sous la forme d’un simple rapport de force.
Avec cette philosophie, comment s’étonner du résultat catastrophique des politiques d’institutions financières comme le FMI et la Banque Mondiale (famine, épidémies...). Les crédits accordés ne sont jamais alloués à des transferts de technologie et à la réalisation de grands projets d’infrastructures, mais servent au paiement d’une dette largement illégitime dans la mesure où les produits d’exportation des pays du Sud n’ont jamais été payés à leur juste prix. Le résultat, qu’il ait été calculé à l’avance ou non importe peu, est celui que réclame la logique malthusienne énoncée dans le NSSM 200.
Cette idéologie malthusienne est largement reprise par les milieux scientifiques. En 1970, Bentley Glass, généticien américain et ancien président de l’American Academy for the Advancement of the Sciences, déclare : « Dans un monde surpeuplé, il est impossible de continuer à affirmer que le droit de l’homme et de la femme de se reproduire comme ils l’entendent est inviolable » [30], et il ajoute : « dans un monde où chaque couple doit être limité, en moyenne, à procréer deux enfants au plus, le droit qui va devenir essentiel ne sera plus celui de procréer mais bien le droit pour tout enfant de naître doté d’une constitution physique et mentale saine, basée sur un génotype sain. A l’avenir, aucun parent n’aura le droit de surcharger la société du poids d’un enfant malformé ou mentalement incompétent ».
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On peut s’étonner que de pareilles conceptions soient aussi facilement acceptées, aujourd’hui encore plus qu’hier, par tout un chacun. L’écologisme, d’ailleurs totalement perverti, est depuis le début des années 70, le paravent idéal des conceptions malthusiennes. Au nom de la légitime préservation de la nature, on met en avant une conception de plus en plus pessimiste de l’homme, pollueur, destructeur, mangeur de ressources et en plus prolifique. On manipule l’opinion publique pour lui faire accepter, en dernier ressort, le non-développement économique. A en croire les médias, il est certain que, d’ici l’an 2000, le ciel va « nous tomber sur la tête » : l’effet de serre accentué par un trop-plein d’industrie va faire fondre les calottes polaires, le trou dans la couche d’ozone nous condamne tous au cancer, « l’explosion démographique » du tiers monde nous promet « des transferts de populations massifs »et la destruction des écosystèmes.
Le but de cette propagande s’apparente aux fantasmes de l’an 1 000, créer une société haïssant la science et la technologie, génératrices d’une diminution du taux de mortalité (donc d’une augmentation du nombre de pollueurs-consommateurs), une société définie par la peur de l’avenir, méprisant le caractère de la vie et trouvant refuge dans l’hédonisme ou les auto-rédemptions du « nouvel âge »... Mission accomplie en grande partie, hélas !
Laissons parler un instant Gabriel Ullmann, docteur-ingénieur chimiste chargé de formation à l’ENA (Science et Technologie du mois d’avril 1991) : Nous illustrerons ainsi comment Thomas Malthus, tout de « vert vêtu », revient dans le débat actuel : « Combien de planètes Terre par an faudrait-il pour satisfaire les besoins de la population mondiale, le jour où celle-ci consommerait per capita autant de ressources naturelles que les habitants des pays développés ? De plus, l’explosion démographique ajoutée à l’explosion urbaine conduit à l’obligation de nourrir de plus en plus d’hommes qui ne produisent rien, ce qui nécessite, outre une logistique et des moyens d’approvisionnement et de distribution performants - dont sont démunis les PVD - l’augmentation de la productivité des terres dont le seul doublement demande une multiplication de l’ordre de 10 de la consommation d’engrais et de pesticides, avec une forte dépense en énergie, et de graves risques d’érosion et de pollution. Conformément aux thèses de Malthus et de Condorcet, la population mondiale croît de manière géométrique ; alors que ses moyens de subsistance progressent selon une simple progression arithmétique, d’où un déficit alimentaire, économique, et écologique croissant ».
Gabriel Ullmann, comme son père spirituel Malthus, efface le fait que les technologies avancées permettent justement de résoudre les problèmes écologiques d’un moment donné, et qu’elles introduisent des « sauts qualitatifs »dans l’histoire du développement humain permettant, d’une manière non linéaire, de dépasser les limites apparentes de peuplement par une transformation plus efficace de la nature. Pascal Riché, dans le journal Libération du 30 avril 1992, reprend la même rengaine ouvertement malthusienne (avec les mêmes préoccupations « écologistes ») :
« Malthus avait raison, l’enfer c’est le bébé : il en naît beaucoup trop. Ça tue le développement, qui n’arrive pas à suivre le rythme », et il ajoute qu’au niveau de la consommation des ressources, « soit le tiers monde se hisse au niveau des pays industrialisés et c’est un désastre écologique. Soit il ne le fait pas, et c’est un désastre humanitaire ».
Le drame est qu’une telle idéologie soit popularisée dans la presse écrite et à la télévision, et reçoive en même temps ses « lettres de noblesse »à l’ENA ou à Polytechnique sous forme d’enseignements pseudo-scientifiques, à grand renfort de statistiques à l’interprétation définie d’avance.
A travers la rhétorique écologisante, l’idée raciste qu’il faut faire accepter, y compris aux intéressés, est qu’étant donné les capacités déjà dépassées de la Terre, les pays du Sud ne peuvent en aucun cas se hausser au niveau, d’industrialisation des pays du Nord et user des mêmes technologies ! C’est là tout l’objectif du sommet de la Terre à Rio (juin 1992). Sous l’argument démagogique du « droit des générations futures », il s’agit en réalité de tenter la mise en place d’un impérialisme « vert »et malthusien, d’un véritable « apartheid technologique », certains étant en droit d’accéder aux applications des découvertes scientifiques, et d’autres pas. On cherche à imposer aux pays du Sud ce que la Commission environnement de l’ONU appelle, depuis 1987, un « développement durable », ce qui correspond, en clair, à un niveau de croissance que l’environnement peu « supporter », à l’application d’énergie dites renouvelables (solaire, géothermie... ) uniquement, et à l’exclusion de moyens de production d’énergie réellement efficaces (fission, fusion nucléaires), l’interdiction d’une industrialisation à grande échelle et, pour le « social », le développement du planning familial plutôt que la maîtrise de la propagation du sida ! Alors que les découvertes scientifiques majeures permettent justement de résoudre les véritables problèmes écologiques et de nourrir plus de personnes par la définition de nouvelles ressources, la science est mise au banc des accusés pour avoir supprimé l’action de la sélection « naturelle » sur l’homme.
Le commandant Cousteau |
Toute la propagande médiatique sur l’écologie ne sert qu’à faire accepter, encore pour un temps et dans une période révolutionnaire, un ordre économique mondial, celui dont parle M. Bush, fondé sur l’exclusion économique des pays du Sud et sur le contrôle, à travers la géopolitique, des ressources par les pays du Nord.
Le projet de Malthus, une société où est contrôlée la « prolifération »des pauvres par leur exclusion du développement, est aujourd’hui prêt d’être réalisé à l’échelle internationale sous la forme d’une dictature masquée sous la jolie étiquette d’ « écologie planétaire ». Malgré le caractère outrancier des propos de Cousteau, très peu de voix s’élèvent pour condamner cet extrémiste. Au contraire, l’océanographe est vénéré. C’est dire combien l’idéologie malthusienne est enracinée dans les paradigmes culturels d’une population déprimée et pessimiste. Alors, comment sortir de l’enfer des conceptions darwiniennes et de leurs conséquences ?
L’alternative à Malthus
La bataille est essentiellement philosophique. Il est utile de « retrouver »
une conception plus optimiste de l’homme, celle qui, par exemple, s’exprime dans
la tradition judéo-chrétienne. L’homme n’est pas seulement animal, livré aux
contraintes environnantes, il est fait à « l’image de Dieu » ou du principe
créateur universel, et cette « étincelle divine »lui permet d’être lui aussi
créateur, capable, par sa compréhension des lois de l’univers, de modifier son
environnement et de dépasser les apparentes limites qu’il s’était fixées à un
moment donné. Ce principe définit le caractère sacré de l’homme, son aspiration
à l’infini, donc sa perfectibilité, quelle que soit sa faiblesse de corps ou
d’esprit. A l’opposé de l’idéologie darwinienne et sans tomber dans le
créationnisme, il faut reconnaître que le Nouveau Testament, parmi d’autres
courants religieux et humanistes, exprime une pensée où « l’agape » (amour de
l’humanité) et la compassion amènent naturellement à l’amour et à la défense du
plus faible, de l’opprimé et même, comme le soulignait Martin Luther King, de
son ennemi. De ce caractère perfectible de l’homme, l’histoire est une preuve flagrante : l’être humain a su conquérir tous les milieux, habiter la terre entière, à la différence des animaux coincés dans leurs niches écologiques. De 10 millions d’hommes que la planète pouvait nourrir avec les technologies de la chasse et de la cueillette, elle pourrait aujourd’hui, si l’on en prenait la décision politique, alimenter 20 milliards d’habitants avec les technologies les plus modernes déjà existantes (chiffres de Science et Technologie, 1991). Avec les applications de découvertes scientifiques nouvelles (comme la fusion thermonucléaire, la supraconductivité, dessalement de l’eau de mer...), on pourra sans doute rapidement dépasser ce chiffre. Aucun animal n’a si bien réussi, à la fois en nombre et en capacité, à conquérir de nouveaux milieux de vie !
La conception malthusienne et darwinienne de l’homme est donc non seulement immorale, choquante et criminelle ; elle est également d’une incompétence flagrante.
Dès le début, l’hypothèse de la sélection naturelle de Darwin ne permet pas de rendre l’évolution intelligible. Même si l’hypothèse se vérifie au niveau de la diversification d’une même espèce végétale ou animale, elle est incapable d’expliquer le « passage »d’un grand groupe zoologique à l’autre ou de rendre compte de l’apparition et de la réussite de l’homme. Le principe de la « survie du plus apte », ou de « la guerre de tous contre tous »chère à Hobbes, ne sauraient expliquer notre succès en tant qu’espèce humaine au cours de l’histoire. Seule la capacité unique de l’homme à comprendre les lois de l’univers infini et donc à mettre l’environnement à « son service », seule « l’agape » qui anime la coopération et le développement mutuel plutôt que la compétition, ont permis ce « miracle ».
L’homme marche sur la lune |
Notes: [1] Darwin et compagnie, P. Thuillier. Editions Complexe, p.23
[2] Idem p. 25 et 26
[3] Idem p.28
[4] Cité dans Histoire de la biologie, E.Mayr. Editions Fayard (1989), p.445 et 446
[5] Traité du vivant, J. Ruffié. Editions Champs Flammarion, p.282
[6] Darwin et compagnie, P. Thuillier. Editions Complexe, p.26
[7] La descendance de l’homme, Charles Darwin. Edition Complexe
[8] Idem chapitre 5
[9] Idem
[10] Traité du vivant, J. Ruffié, p. 313
[11] « Va-t-on modifier l’espèce humaine ? », Le Nouvel Observateur document n.10 p. 108
[12] Darwin et compagnie, P Thuillier, Editions Complexe, p. 103
[13] Idem, p. 104
[14] Libération du 21 novembre 1991
[15] Le Nouvel Observateur document n.10 p. 112
[16] Les apprentis sorciers, J. Rifkin, Editions Ramsay. p. 52
[17] Idem p. 54
[18] Idem p. 56
[19] Idem p. 65
[20] Au passage, l’omniprésence et la fixation quasi-obsessionnelle du débat politique actuel sur l’immigration et la sécurité, et le fait que le Front National fasse référence à Alexis Carrel dans la formation de ses membres, devraient nous inciter à une vigilance extrême aujourd’hui en France. Battons-nous pour que le discours sur le « seuil de tolérance »de la quantité d’immigrés (débat déjà bien lamentable) ne dérape pas un jour sur la « qualité de la population » !
[21] Idem p. 65
[22] Idem p. 66
[23] Idem p. 66 et 67
[24] Idem p. 68
[25] Nous ne sommes pas programmés, Lewontin, Editions La découverte (1985), p. 106
[26] Idem p. 124
[27] De la biologie à la culture, J. Ruffié, Editions Champs Flammarion, p. 163
[28] Nouvelle Solidarité, vendredi 31 mai 1991
[29] Le temps des famines : l’Amérique et la crise alimentaire mondiale, Paddock cité dans Un plan Marshall contre l’usure financière, Institut Schiller
[30] Le Nouvel Observateur, document n. 10, p. 125
[31] Les apprentis sorciers, Rifkin, Editions Ramsay, p. 163
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